Je vous aime parce qu’il y a une faiblesse et une telle force à la fois qui vous habitent. Spécialement l’hiver, quand vous marchez plus lentement qu’un escargot parce que le risque de glisser sur une plaque de glace est élevé. Je rêverais de me métamorphoser en maître Jedi de 900 ans et d’apparaître devant vous en disant:
Que la force soit avec vous.
Mais vous faites attention et vous arrivez à temps et en un morceau à l’arrêt d’autobus. Pour y monter, vous vous donnez un p’tit swing qui doit gruger toute votre énergie. Vous vous accrochez solidement aux barres pour ne pas tomber, car parfois le chauffeur démarre en trombe avant que vos fesses n’aient trouvé un banc. Il y a aussi ces fois dans le métro où le cœur m’explose en millions de fragments. Vous débarquez du wagon et pour atteindre la sortie, vous devez passer par l’étape de la montée de l’escalier. Votre main frêle se cramponne à la rampe pour monter les marches. J’aurais tellement envie de vous prendre le bras et qu’on grimpe ensemble jusqu’en haut. Mais on dirait que quelque chose m’en empêche. J’ai peur que vous refusiez mon aide et je ne le supporterais pas. J’en conviens que c’est égoïste. Alors pour me sentir moins coupable, je freine ma cadence de jeune femme énervée de-tout-faire-tout-de-suite. Vous ne vous en apercevez jamais, mais je suis à vos côtés, et j’escalade la montagne avec vous. Un pas à la fois. Une fois arrivés en haut, je vous lance un GOOD JOB HOMIE! en vous donnant un Hi Five. Même si je sais que vous ne m’avez ni vue ni entendue parce que c’est un scénario imaginé dans ma tête.
On dit que la perfection n’existe pas, mais c’est totalement faux.
Mesdames, vous êtes magnifiques avec vos cheveux d’un blanc si uniforme que le père Noël en serait inévitablement jaloux, votre foulard de soie aux motifs colorés pour éviter que votre mise en plis ne se décoiffe au vent, votre bonnet de plastique pour protéger votre chevelure de la pluie, vos rides qui camouflent tant d’histoires et de sagesse accumulées au fil des années, votre pouchpouch d’eau de toilette qui agresse un peu les narines, vos vestons fleuris, vos p’tits pains au poulet durant le temps des Fêtes pis vos bagues que vous ne mettez plus à cause de votre arthrite. Messieurs, vous êtes merveilleux avec votre casquette à carreaux et vos couvre-chaussures en caoutchouc alias vos claques, votre pantalon un peu lousse que vous serrez avec une vieille ceinture de cuir, votre poil qui sort des oreilles et des trous de nez, votre canne en bois verni, vos blagues des années 30, votre dos courbé et votre crâne dégarni. Vous, adorables couples mariés depuis 60 ans qui vous tenez encore bras dessus bras dessous dans la rue l’hiver pour ne pas vous péter la gueule, qui vous supportez après tant d’années, qui faites des mots-croisés et la sieste d’après-midi ensemble, qui parfois devez accepter que votre moitié parte avant vous.
Vous êtes la perfection.
J’aimerais que vous ne mouriez jamais, que vous arrêtiez de vieillir avant que les maladies ne vous détruisent comme une violente tornade qui arrache les branches d’un arbre. Soyez éternels, papis et mamies de ce monde. Pas comme dans La mort vous va si bien parce que les madames finissent décomposées en morceaux sur le parvis d’une église, mais tsé.
Éternels pour que votre sourire en dentier continue à me rendre plus humaine.