J’ai cette amie qui aime tant les livres qu’elle a le bout du nez noirci d’encre. Je la comprends, les livres sont si réconfortants. Ils nous emportent loin de notre quotidien et nous font vivre des émotions sans que nous nous mettions en danger.
Son histoire à elle en est une rocambolesque : péripétie après péripétie, sans trop de temps de repos. C’est le genre d’histoire où le lecteur arrête de respirer et fronce les sourcils de manière un peu perplexe en se demandant pourquoi l’auteur en fait tant vivre à son héroïne. Mais son histoire n’est parue qu’en très peu d’exemplaires et, encore là, plusieurs sont incomplets. Elle est la seule à avoir reçu l’ouvrage entier, mais elle n’arrive pas à tout lire, comme si certains passages étaient écrits dans une langue étrangère.
Lorsqu’elle m’a partagé quelques chapitres, j’y ai lu entre les lignes des éléments qui en disent bien plus sur elle que ses péripéties. J’y ai découvert une héroïne déterminée à vivre, résiliente et au cœur profondément bon. Là où elle ne voit qu’un être blessé, j’y vois une battante qui se reconstruit.
Se reconstruire, ça ne se fait pas en une nuit. Ça prend du temps, de la sécurité et une bonne dose d’amour.
Pour la sécurité, elle a trouvé refuge dans des milliers de pages noircies d’encre. Elle a pu y vivre tout ce qu’elle n’avait pas vécu dans ses propres chapitres, y ressentir des émotions sans prendre la chance d’agrandir ses plaies. Son refuge est le plus merveilleux qui existe. Il forme la pensée, la parole. Il donne des outils que les meilleures thérapies ne parviennent pas à développer.
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Ces derniers temps, je vois bien qu’elle tente de sortir de son refuge, pour vivre à nouveau parmi le réel et faire que la fiction reste un monde bien distinct. Elle pointe le bout de son nez noirci à l’extérieur, vérifie quel temps il fait dehors et ne s’y aventure que si elle est certaine de ne pas être trop secouée par ce qu’elle ne peut contrôler.
Je crois que, parfois, elle oublie que dans sa quête de la vie, elle n’est pas un personnage principal esseulé. Elle est entourée de personnages secondaires qui portent bien leur nom : ils sont là pour la seconder peu importe ce qu’il adviendra au détour d’une nouvelle phrase.
Il faut qu’elle se rappelle que les chapitres précédents ne déterminent pas les suivants. Que l’amitié est un puissant allié. Que le monde n’est peut-être pas un conte de fée, mais qu’il n’est pas non plus un suspense terrifiant.
De l’amour, elle en a pour ses amis et sa famille comme peu en sont capables, elle en a pour les livres, mais elle ne parvient pas à s’en accorder assez pour elle-même. Je me suis donc dit que si elle lisait des mots à son propos, peut-être que tout l’amour qu’elle a pour eux serait redirigé vers sa personne.
Comme le temps a passé, qu’elle a trouvé de la sécurité et que l’amour l’entoure, peut-être sera-t-elle prête à faire le saut de l’amour propre. Un amour propre aussi grand que celui qu’elle offre si généreusement.
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J’aimerais qu’elle pose ses yeux sur elle-même de la façon dont elle les pose sur tout ce qu’il y a autour. Alors, elle verrait sa propre valeur objectivement et réaliserait tous les outils dont elle dispose pour foncer hors de son refuge.
Puis, le réel l’accueillera les bras grands ouverts comme la fiction l’a fait, il essuiera le bout son nez noirci, la regardera dans les yeux et hochera la tête en ce mouvement d’approbation et de confiance qu’elle y arrivera, qu’elle en a la force. Et elle foncera, telle l’héroïne fabuleuse qu’elle est.
Par Camille Bouchard
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