Ah la cri… de routine! On rencontre l’Autre avec un grand «A», celui ou celle qui nous chavire, qui nous fait presque saliver, qui nous fait croire qu’une vie d’éboueur ou à travailler dans le fin fond du Grand-Nord en sera une sublime, pourvu qu’elle soit partagée avec l’Autre. On fait cette rencontre tellement puissante et l’on exclut qu’une chose aussi banale, la cri… de routine, puisse affecter ce déluge de passion amoureuse. C’est magnifique! Le ciel est plus bleu que bleu, des canons à confettis explosent dans notre tête, on hésite entre deux ou trois noms pour le premier môme…
Trois ans plus tard, l’amour s’est caché dans les fentes du divan avec les chips émiettés. Le sexe, aussi spontané qu’un horaire de contribuable, est tacitement inscrit à l’horaire de vendredi soir, pas trop tard. À quelque part durant notre promenade en amoureux, on s’est empêtré, on a mis les pieds dans quelque chose de bien visqueux. Ça s’appelle le quotidien! Notre flamme, notre passion qui prenait des dimensions cosmiques s’est lentement mais sûrement moulée aux murs de notre 4 et demi. On tente de s’extirper de notre marécage, de retrouver la légèreté limpide des débuts, mais on échoue, on retombe.
La cri… de routine a tout ruiné.
On aurait dû déménager chaque année, changer de parfum au mois, essayer tous les restaurants de la ville, partir en road-trip toutes les fins de semaines, s’écrire des poèmes dans le milieu des nuits, transformer nos pauses-midi en furtifs rendez-vous sexuels, se faire des massages tous les soirs, fêter la Saint-Valentin cinq fois par année, faire des graffitis avec nos noms sur les immeubles du quartier, aller au gym quotidiennement, s’acheter du chocolat et des fleurs pour célébrer nos mensuels anniversaires de couple.
Vraiment?
Au fond, la routine nous révèle ce que l’on est vraiment. Peut-être qu’on aurait pu apprivoiser notre routine, se l’approprier pour qu’elle reflète un peu plus nos idéaux. Toujours est-il qu’il y a quelque chose de vain à se battre contre elle. Elle est naturelle, on a besoin de notre café le matin pour fonctionner, de notre gâterie sucrée du soir, de notre série préférée. Personne ne va nier que les escapades improvisées, les week-ends romantiques ou les sorties aèrent l’ambiance du couple. Au contraire, secouer le quotidien est vital. Il reste que le nerf de la guerre, c’est la vie de tous les jours.
Rien de passionnant à faire la vaisselle, excepté qu’avec deux ou trois baisers dans le cou et une longue conversation, la chose apparaît plus reluisante. Préparer les soupers après de longues journées de travail : rien de plus fade. Ajoutez un partenaire et le tout s’épice naturellement. Difficile de trouver moins pathétique qu’être en pyjama et de s’enrouler dans nos couvertures pour regarder une série en couple. Toutefois, quand le petit écran nous imprègne d’un imaginaire commun, qu’on s’amuse à imiter les personnages, qu’on sème nos conversations de références à l’émission partagée et qu’on passe des heures à commenter les épisodes, le divan devient d’autant plus confortable qu’il abrite un véritable amour. Et le sexe! Quoi de plus attendrissant que de sentir qu’on est connu par coeur? Quoi de plus grisant que de se faire, petit à petit, un virtuose qui fait résonner à tous coups le corps de l’être aimé? Explorer notre sexualité ou explorer le monde : même combat. On ne part pas à l’aventure sans une personne de confiance.
En bout de ligne, on aurait juste dû être vigilant avec nos routines : prendre soin d’éviter ou de révoquer celles qui nous éloignent et nous avilissent puis faire de celles qui nous plaisent, une identité. La majuscule de l’Autre se nourrit aussi des petits bonheurs de la routine.
Par David Morissette Beaulieu
Marie-Ève Joseph
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