La plupart du temps, dans la vie, j’ai l’impression de monter des meubles en oubliant des pièces.
Imaginez-vous la chose suivante : vous venez d’acheter une table chez IKEA. Vous ouvrez la boîte dans votre salon pour la monter, mais ne trouvez pas le plan. Tant pis, vous vous lancez quand même. Après des heures à gosser, vous vous retrouvez devant un meuble qui ressemble à s’y méprendre à la table sur la photo qui orne la boîte. Pourtant, sur le plancher, il reste cinq vis, deux boulons et un morceau de bois orphelin. Et la table tient. Ou du moins, elle semble tenir. Cette table, c’est ma scolarité, mon emploi, mes passions. Ce dans quoi je suis « bonne. »
À l’école, je m’en suis toujours bien sortie. Je suis en train de terminer un bac avec lequel il est relativement facile de trouver du travail. La preuve : plusieurs de mes camarades de classe ayant déjà leur diplôme en poche travaillent déjà dans leur domaine. Nous avons suivi les mêmes cours et pourtant, je ne me sens pas du tout prête. J’ai parfois l’impression que même si je me spécialisais pendant des années dans mon domaine, que je faisais 26 doctorats et post-doctorats, je ne parviendrai jamais à me sentir sûre de mes compétences.
À me sentir confiante. À pouvoir dire : « je suis capable de faire cette chose pour laquelle j’ai étudié pendant des années. » Ou bien : « je suis qualifiée pour faire ceci ou cela. »
Au travail, même manège mental. Une petite voix profondément irritante chuchote toujours dans le backstore de mon cerveau. « Il doit bien y avoir quelqu’un de meilleur que moi pour remplir cette fonction. Pourquoi m’a-t-on choisie plutôt qu’un/e autre? Est-ce que je donne l’impression de savoir ce que je fais? »
Un peu plus et je me dis : « est-ce que je souffre assez du syndrome de l’imposteur pour parler du syndrome de l’imposteur? »
Rire jaune.
C’est une roue qui peut tourner ridiculement longtemps et qui gruge beaucoup d’énergie. L’impression de ne pas suffir finit par tacher toutes les facettes d’une vie. À quelques années de la trentaine, j’en viens à me demander si j’aurai un jour le courage d’avoir confiance en moi.
Arrête-t-on un jour d’oublier des pièces en montant nos meubles? J’ose espérer que oui.
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