« Diagnostic »… un mot qui pend aux lèvres des experts qui en distribuent avec la même candeur que Jésus avec sa bonne nouvelle d’amour et de charité. Si la bonne foi du Christ a mené à sa crucifixion afin qu’il pardonne nos âmes pécheresses, je me demande bien qui soulèvera de nos épaules le poids du surdiagnostic qui fait de nous des martyrs des temps modernes. Ben oui, je suis en fin de session universitaire et j’écris ce texte ludique au doux son du sablier qui m’annonce, grain de sable par grain de sable, que mes dates butoirs sont à mes trousses. Un comportement de procrastination digne d’une personne souffrant d’un trouble du déficit de l’attention, dira-t-on (parce que l’étudiant idyllique existe : c’est un robot qui déteste Netflix, CandyCrush et cuisiner des muffins par temps perdu).
Entrée en matière dramatique, j’en consens, mais je veux ici parler d’un point important : la beauté de l’individualité. Pas individualisme a.k.a résultat d’un système économique néolibéral qui prône la liberté individuelle alors que (AH!) c’est un piège capitaliste pour nous éloigner les uns des autres, pour centrer notre vie autour de biens et de titres superficiels et pour nous vendre, tels des esclaves, notre force de travail pour survivre aux Hunger Games où celui qui se prostitue le mieux au système gagne (Le Capital de Karl Marx n’inspire surtout pas cette réflexion). Bref, le but ici n’est pas de sonner anarchiste, mais certainement de vider mon sac et d’offrir mon point de vue expérientiel qui ne fera pas l’unanimité.
L’individualité, telle que définit par le Larousse, renvoie à la « caractéristique d’un être qui le rend tel qu’il ne puisse être confondu avec un autre être ». Wow, c’est beau. Là où je me questionne, toutefois, c’est concernant la pertinence du diagnostic du TDAH dans la mesure où, de toute façon, on naît tous spéciaux, tous uniques de par notre individualité. Vous me pardonnerez si je sonne drastique, mais je réfléchis là-dessus depuis ma tendre enfance troublée : m’étiqueter de TDAH et m’expliquer comment je fonctionne est un affront important à mon individualité et à tous ceux qui baignent dans mon bassin d’intensité et d’idées désordonnées. Je me suis longtemps demandé si cet inconfort lié au diagnostic provenait de mon incapacité à digérer la différence, à assumer cette partie de moi et ce qu’elle implique, mais finalement, ce n’est pas ça. Je réalise simplement que ma conception du diagnostic reçu il y a de cela des années va à l’encontre de la vague et que je ne me sens pas intrinsèquement concernée. Certes, identifier des traits, des comportements types et les regrouper pour le bien de la science occidentale et pour, je dis ça de même, gonfler les coffres des industries pharmaceutiques, c’est legit. Mais la partie que je saisis moins, c’est la pertinence du diagnostic pour l’expression individuelle d’une personne. Clairement, c’est un débat polysémique, mais pour moi, ça permet de valider sur papier que tu te distingues de la norme sociale, que tu risques de rusher dans un système pédagogique qui n’a pas su s’adapter à ton individualité et répondre à tes besoins. En gros, ça valide que tu dois te sentir mal pour qui tu es et sentir que tes rêves sont inaccessibles.
Le diagnostic, qui s’enracine au plus profond de nos êtres, nous permet de nous forger notre identité autour de celui-ci. Ça peut être très néfaste, et je me suis fait prendre au jeu. Un enfant ou un adolescent troublé, qui ne mange pas à sa faim, qui vit une tristesse énorme liée à un évènement ou un trauma, ou simplement qui trouve l’école ennuyeuse parce que son énergie est débordante, mérite d’être soutenu et d’être pris en charge en fonction de ses besoins, non pas dopé ou aliéné par un diagnostic qui nomme sans vraiment agir de manière significative. Le plus fâchant pour moi est quand ça devient l’explication pour tout, un réflexe cognitif qui m’a souvent fait sentir comme une plaie sociale. C’est pas drôle de perdre ses clés pour la troisième fois dans la semaine et d’avoir une voix dans ta tête qui susurre « TDAH ». C’est pas plus drôle de voir ses points d’inaptitude augmenter avec la même voix agressante qui dit : « TDAH! Strikes agaaain! » Et le moins drôle de tout, je dirais, c’est d’avoir des vagues de découragement aléatoires où tu broies du noir en te disant qu’à cause de ton mausus de TDAH, tu vas toujours partir à -2 dans la vie et laver LES CHIOTTES DU MCDO en espérant upgrader à « préposé à la moppe ». Apitoiement, quête de reconnaissance sociale et perte d’estime de soi s’en suivent.
La réalité, c’est que sous l’égide du diagnostic TDAH ou non, le système va toujours chercher à nous casser, à nous mettre au défi, et il faut être fort en tabarouette pour ne pas craquer à un moment ou à un autre dans cette société malade où le pessimisme prime. Chacun est différent, mais pour moi, me faire diagnostiquer ne m’a pas permis un éveil spirituel ou une compréhension de soi. J’ai plutôt senti qu’on me mettait en marge, qu’automatiquement, ce serait toujours plus difficile. J’en ai marre d’entendre « impulsive » plutôt que spontanée, « trop sensible » plutôt qu’empathique, « trop intense » plutôt que passionnée, « étrange » plutôt qu’authentique, « trop idéaliste » plutôt qu’optimiste, « dans la lune » plutôt que dans mes pensées où c’est plus divertissant que dans ben des places.
Le jour où j’ai choisi de laisser mon diagnostic dans une chemise brune à quelque part dans une clinique médicale et de me laisser vivre en chérissant mon individualité, c’est le jour où j’ai réalisé qu’il est possible de se sentir libres dans une société qui nous incarcère. Ainsi, ce récit exprimant ma manière de vivre mon individualité m’est propre, et existe surement parce qu’on a essayé de me faire voir une façon qui ne me convenait pas du tout.
Et vous, âmes perturbées, comment vous convient-il de vivre?