Caresse-moi pas, Tom /Caresse-moi, Tom.
Tu sais bien.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu la peau sensible, d’une sensibilité exacerbée, presque trop ridicule pour être vrai. Comme si mon hyperactivité s’était propagée aux moindres pores de ma peau : les chairs aux aguets, mes capteurs en activités instables. Au moindre contact, perdre toute attention au profit de l’angoisse.
L’inconfort était trop grand. Il l’est toujours.
Une caresse, Tom, c’est équivalent de me frotter à la pierre ponce. Une pierre ponce qui va et vient, dans un mouvement lent et répétitif. La sensation de cette maudite pierre-ponce-de-caresse qui me frictionne, trop attentionnée, sur les mêmes quelques centimètres carrés de mon corps, sans vouloir s’égarer, sans vouloir s’agrandir.
Ma peau comme un Levis neuf : un tissu tendu sur mes os, qu’on viendrait user, question d’y donner du vécu avant l’temps, à grand renfort de douche javellisante.
Les caresses m’usent, Tom, elles m’usent à la corde.
À chaque passage, ma peau semble s’amincir pour se tendre, se déchirer, me mettre à vif.
Ça me décharne et me désincarne.
Les caresses m’achèvent, Tom.
J’ai toujours porté ce double standard en moi.
L’insoutenable et la légèreté, à parts égales – merci Kundera.
Ma peau écorchée vive au moindre mouvement.
Ma peau brûlante de ne pas être prise.
C’est fou, hein, Tom, de vouloir à ce point quelque chose qui n’est pas fait pour nous?
C’est fou, hein, Tom, de vouloir à ce point quelqu’un qui n’est pas fait pour nous?
Reste que j’ai une grande fascination pour les filles qui aiment ça, se faire caresser. Qui se laissent faire et qui se laissent aller. Je félicite leur abandon. Moi, ça me rentre pas dans tête. C’est même plus une question de pas vouloir qu’on touche à mon corps : all in pour la mollesse et les imperfections, la cellulite et les vergetures. J’ai le corps que j’ai, on a toujours su à quoi s’en tenir, toi et moi, Tom. J’ai rien à cacher. Je te montre tout de moi, à ta simple demande. Je te répondrais, si tu poses la question.
Mon silence accompagnera le tien.
Les silences conservent les meilleures-pires-histoires.
Elles contiennent souvent autant de gifles que de caresses.
J’ai eu droit à autant de gifles que de caresses, Tom. J’me disais que tu pourrais m’entendre, moi, ces garçons d’avant et les caresses irréconciliables. M’entendre sans toutefois savoir si tu me comprendrais ou si tu serais effrayé.
Il ne faut pas tenter de trouver de moyenne à tout ça parce que ça sonne comme une tentative de compromis.
Non.
Ne – plus – jamais faire de concessions à la violence.
Ni par abandon ni par amour.
Ça se vend pas en package deal au Walmart : une fois que tu t’es trop abandonnée aux autres, impossible de te faire rembourser
J’ai jamais eu la crainte de m’abandonner à tes mains, pourtant. Je ne sais pas pourquoi. J’aurais dû, pourtant. Jamais elles n’ont été sur moi à rebrousse-poil. J’aurais dû avoir peur de toi et, pourtant, tu sembles me réconcilier avec les caresses.
J’aurais dû savoir, pourtant.
J’parle de tes mains comme de voisines. Comme si elles avaient souvent fait leur tour chez moi.
Non, je le sais bien, Tom.
T’es cheap de tes caresses et avare de ce que tu donnes aux autres.
Peut-être que j’tente simplement d’enlever de la valeur à ce qui en a trop à mes yeux?
Peut-être qu’on est juste cheap pour vrai, je sais pas, Tom, ça demande réflexion.
Ça ne t’enlève rien, au contraire, ça te donne tout.
Parce que lorsque tes mains se posent sur moi, je côtoie le banal et l’ordinaire, sans jamais être dans l’habitude : je suis sans cesse nouvelle.
Même si depuis, t’as arrêté de me toucher. Tes caresses émergent parfois, des profondeurs de ma peau, au milieu de gifles fantômes.
Au passage, tes mains ont pansé d’un baume la brûlure des autres pour colorer de nouvelles cicatrices.
Celle de ta main dans mon dos – en réconfort.
Celle d’un baiser sur le front – par affection.
Ces cicatrices sont mes brûlures les plus constantes.
Pourtant, j’ai envie de m’oublier à nouveau pour ton plaisir.
À m’oublier pour nous, j’ai fini par y trouver le mien.
Caresse-moi pas, Tom.
Mais aime-moi quand même, dans tout ce que cela comporte.
Caresse-moi, Tom.
Même si je suis une intouchable.
Même si c’est insoutenable, ça me rend plus légère.
Alors, persiste et signe.
En sous-texte, entre les lignes-de-tes-mains-sur-ma-peau, j’trouverais sans cesse quelque chose de beau.
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