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Semaine zéro : Je suis tannée d’être grosse

« L’estime de soi ne se conjugue pas au conditionnel »

– Bill Watterson

Je suis tannée d’être grosse. Il faut dire que j’ai passé plus de vingt années de ma vie dans le corps d’une obèse. J’ai bien eu quelques mois de rémission où j’arrivais à perdre plusieurs dizaines de livres, mais ça ne tenait jamais parce qu’à chaque épreuve, grande ou petite, que la vie mettait sur ma route, je me réfugiais dans ma drogue de prédilection : la nourriture. En moins de temps qu’il m’avait fallu pour le perdre, j’avais regagné le poids que j’avais quitté au prix de tant d’efforts. Toujours avec des petits kilos en bonus.

J’ai touché un sommet ou un fond, c’est selon la manière dont vous contemplez la proverbiale formule du verre à moitié plein ou à moitié vide, mardi dernier quand j’ai fait face à la balance du bureau de mon médecin. Elle me connaît depuis que j’ai six ans; tout ce qui change dans nos rendez-vous, c’est la déco, la couleur de mes cheveux ou le nombre de rides qui s’entassent autour de ses yeux. Médicalement, elle est la plus grande experte de ma personne sur Terre : mes antécédents physiques, familiaux ou psychologiques. Elle se les remémore avec une déconcertante acuité chaque fois que je viens m’asseoir dans son cabinet, face à elle, séparée de la vérité par mon dossier ouvert sur la table entre nous et son regard bleu perché au-dessus de ses fines lèvres closes. Son expertise l’autorise chaque fois à me dire sans détour : tu as engraissé.

Je suis atteinte d’une condition médicale qui m’oblige à la voir au moins une fois par douze mois ce qui est une nette amélioration avec les dix-huit premières années de mon existence où mes parents faisaient l’aller-retour Beauce-CHUL deux fois par saison pour contrôler ce capricieux débalancement hormonal occasionné par mon défaut de fabrication. Je suis née sans glande thyroïde. La thyroïde, c’est cette petite boule de chair en forme de virgule située derrière la trachée dont vous n’entendrez jamais parler de votre vie à moins qu’elle fasse défaut ou qu’un gynécologue vous apprenne que c’est sa paresse qui vous empêche de tomber enceinte.

Chez moi, cette prédisposition ancrée dans ma génétique entraîne un ralentissement de mon métabolisme. Il m’est facile de prendre du poids et extrêmement difficile d’en perdre. « Darwiniennement » parlant, je suis un chef d’œuvre de l’évolution parfaitement adapté aux grandes périodes de famine du XVIe siècle. L’ennui, c’est que je suis née au XXe. Trop tard pour être un canon de beauté dans une toile de Rubens.

Je redoute ces visites où elle me dit chaque fois la même chose dans des mots qu’elle ne se donne même plus la peine de saupoudrer de sucre ou de remplacer pour les faire mieux passer ou par d’autres moins crus. J’ai encore engraissé. Comme si je n’étais pas déjà au courant. Quand ce n’est pas la montée des marches qui m’essouffle ou mon jean qui s’use prématurément au frottement de mes cuisses et se déchire au moment où je monte dans le véhicule de mon amoureux, c’est mon reflet, dont je n’ose croiser le regard dans le miroir, qui me le crie.

Je me suis dit tant de fois que j’allais perdre ce poids, devenir en forme, manger santé et entrer dans du linge à un seul chiffre sans entendre les coutures crier à l’aide, que ces objectifs sont devenus autant d’échecs que je porte sur moi. Littéralement, en fait, parce que je pèse maintenant l’équivalent de deux femmes ayant un poids santé. En fait d’uppercuts, c’est un concentré de Rocky Balboa sur stéroïdes que je viens de recevoir en pleine gueule.

Chaque fois que j’ai voulu changer, ça a toujours été pour vrai. Et plutôt que de me dire que celle-ci est plus vraie que les autres, je crois qu’il vaut mieux employer un vocabulaire différent. Je ne veux pas changer, je veux pouvoir être moi, sans toutes les entraves que je me mets. Peut-être que je serai toujours une moi qui a des rondeurs, mais une moi qui n’a pas besoin d’être deux pour sentir qu’elle vaut quelque chose.

Je suis tannée d’être grosse, de me dire que je pourrai commencer à mordre dans la vie quand j’aurai atteint tel ou tel objectif, de me mettre sur pause entre deux essais et de passer en mode autodestruction lorsque je fais face à un mur. J’en ai assez de me conjuguer au futur, à l’imparfait ou au conditionnel parce que les aiguilles de l’horloge ne ralentissent pas leur course et qu’il me reste de moins en moins de temps présent.

Plutôt que de pleurer sur mon sort en me tartinant une toast d’une couche de Nutella épaisse comme s’il n’y avait pas de lendemain, je fais le choix conscient de me reprendre en mains pour une xième fois, et ce, peu importe le chiffre qui remplace le X. Ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est de le faire là, maintenant, et de continuer d’aligner les maintenant jusqu’à ce que je réussisse, non seulement à atteindre mon objectif santé, mais à le maintenir.

Cela est mon cheminement, ce parcours ardu que je me propose de partager avec les Crépus dans les prochains mois, sans tabou, une réflexion à la fois, au fil de plusieurs thèmes que j’aborderai avec vous.

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