Pousse fort sur le coffre de la voiture.
Pousse encore.
Ça y est ! Tout est rentré.
Pas de cadavres, ni de sacs de magasinages ou de boîtes d’Ikea.
Non, juste le stock de camping.
Même des TicTac entreraient plus.
Une seule nuit dans une tente avec l’autre.
T’as tout pour survivre à une attaque de zombies ou un tsunami.
Parce qu’au Québec, fait pas toujours beau.
Faut prévoir.
La route est longue et cahoteuse.
Des cratères dignes de Bagdad parsèment le bitume.
Deux sacs de Doritos et douze guimauves plus tard, enfin arrivés.
Ton coeur salue tes lèvres au passage.
Allô la nausée.
Trouver le bon spot est un art qu’on oublie au rythme du temps.
Une fois aux cinq ans étant pas mal le rythme en question.
Bon, toi pis l’autre, ça commence :
« Sous un arbre ? »
« Un terrain plat? »
« Non, une butte avec du sable ? »
« Il faut toujours un tapis d’épines d’épinettes. »
« Hein? »
Quelques engueulades plus tard, zip, tu sors la tente du sac et tente de la monter.
Ô dieu des piquets, soyez avec nous.
Bizzz, pique, ouch, gratte, ouch, grafigne, ouch, cibole !
« Non pas là ! »
« T’es à l’envers. »
« Passe-moi le plan. »
« Quel plan ? »
« Laisse faire ! »
On boude, on recommence, la lumière baisse.
Ça y est !
La maison de tissu extérieure est en place et n’attend que ton corps endolori pour te faire faire de l’insomnie.
« Hum s’cusez » dit le tit monsieur boutonneux pas fin qui vient t’annoncer que tu vas vivre l’équivalent d’une année de moins vu le stress occasionné par la suivante déclaration :
« Vous pouvez pas mettre votre tente là, c’est interdit. »
Ah ben gadon-ça toi mon gros insignifiant de Daniel Boum!
Il a le sens du timing.
Coudonc Denise Filliatrault est tu cachée dans le bois pis elle t’envoie nous avertir dès que la tente est « pinée » ?
T’as soudain très soif, une envie d’oublier, tu cales une couple de gorgées de Tia Maria chaud, première chose que t’attrapes.
C’était ça ou du gaz.
Rot de Doritos.
On recommence.
Tu transportes la maison de tes rêves, comme une valise, à hauteur de menton, en essayant de ne pas trop la déchirer à travers une mi-swompe, mi-forêt de picpics.
« AYOYE !!!!!!! » Une mouche à chevreuil est partie avec la moitié de ta paupière droite.
Tu découvres, non sans déception (en do majeur) ton nouveau royaume des mosquitos.
Tu poses ta tente, quelle détente !
Tes épaules ont grandi de trois pouces, on dirait qu’elles veulent frencher tes lobes d’oreilles.
Évidemment, t’as une écharde.
Ça, c’est irritant comme le poil de cul d’un éléphant.
Non pleure pas.
T’es forte, t’es une fille de bois.
Tu regardes autour, t’es maintenant seule.
C’est ben ce que tu pensais.
L’autre est parti chercher une caisse de 12 qui ne rentrait pas entre tes cuisses dans l’auto. L’espace étant déjà occupé par la toilette portative.
Frouche-frouche, bruit inquiétant qui te rappelle les trépidantes histoires de chasse de papa.
Pivot vers le bruit.
Sang qui se glace à la vanille.
Pas de Madagascar quand même.
Un vrai, pas empaillé, ni dans une revue de déco, un vrai panache en face de toi.
Là, tu capotes.
Pocahontas ! T’es où ?
Samian au secours !
Ok t’es dépourvue.
Il y a un orignal qui te regarde de beaucoup trop proche.
Il est comme trop tard pour faire la morte.
Il n’est pas cave, mourir debout c’est rare.
Et ben, tes genoux claquent tout seuls, même pas demandé la permission.
Finalement, la toilette portative ne te servira pas tout de suite.
C’est chaud et humide sur tes belles gougounes de cuirettes neuves.
Traumatisée, tu fredonnes : ‘’A-ani-kou-ouni-…c’est quoi donc les mots ?’’
Ou l’autre là : ‘’Hipo et thaie, thaie, yé, ya…’’
Le mastodonte ne bronche pas.
Tu le fixes dans les billes noires.
‘’Va-t’en, t’es sur mon territoire de tente. ‘’
Oups ! Nasaux pas contents.
‘’Peux-tu revenir juste demain à cinq heures, on sera plus là man ? ‘’
Il se lèche les babines et avance.
‘’WO, tu pues grave.’’
Pourquoi déjà t’es-tu enfuie de la ville petite Netflixienne ?
Énergie du désespoir, t’avances vers l’animal en le fixant de ton regard Natural born killer.
Il bouge pas.
Nouveau regard d’où jaillit un peu d’angouèsse.
Il bouge toujours pas.
Tu sors ton pouche-pouche qui rend l’haleine fraîche.
Tu lui en shoot dans les orbites laiteuses.
Il capote, tu capotes, il capote, il se sauve te propulsant dans un bosquet.
T’as mal. Mais t’as vaincu.
Oui, grâce à ton espièglerie et à un produit cancérigène.
T’es plus forte que la nature.
Toi femme blanche avoir été trop rusée.
Tu ris toute seule sur le sol, en te roulant d’un bord pis de l’autre.
L’autre justement qui revient avec sa 12.
« Qu’est-ce que tu fais là ? Lève-toi, tu es couchée dans l’herbe à puces. »
Petit régurgit aigre.
Chanson attikamek et pleine lune.
Dis-toi que toute chose a une fin.
marie
Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com