Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir gérer les transports en commun. Peut-être que c’est le mot commun qui fait peur à notre individuel? Ou l’individuel en nous qui sait pu où se mettre, mais dans tous les cas, partager une grosse voiture avec parfois plus de trente personnes, ça peut faire angoisser.
Certains l’appellent « la bus », d’autres souvent très pointus sur le fait que autobus est masculin l’emploient de façon à accentuer exagérément le déterminant LE. Reste que l’autobus c’est l’autobus. Du monde grouillant de partout, des sièges qui en ont vu plus que n’importe qui et surtout, surtout, une multitude de personnages. C’est en prenant l’autobus que j’ai réalisé qu’il s’agissait en fait d’une scène étroite et longue où tout le monde joue son rôle. Sans sortir de leur bulle qui se crée autour d’un tout petit siège inconfortable.
Du monsieur un peu bizarre à la fille accrochée à son cell. Il m’arrive de prendre l’autobus. Quand j’en parle avec des amis, je leur dis que c’est ma décision, que prendre LE bus c’est écologique, que je pense vert et que c’est une façon incroyable de faire des rencontres, mais au fond, c’est seulement que je n’ai pas de voiture ou que les parkings coûtent trop cher. Une façon incroyable de faire des rencontres, c’est ironique.
La plupart du temps, j’analyse les gens sans chercher à entamer une conversation. J’aime leur imaginer des vies différentes et une personnalité pour chacun d’eux. Je ne fais pas seulement ça, ça serait trop bizarre, je suis parfois cette fille accrochée à son cell comme si je m’accrochais à ma propre vie. Et c’est à ce moment précis que l’univers autour disparaît. Je passe peut-être à côté d’un couple ensemble depuis des décennies. Ensemble depuis l’arrivée des télévisions couleur, des ordinateurs, de ce même cellulaire que je tiens dans mes mains. Ensemble ils ont peut-être accompli plus que je ne le ferai jamais dans toute ma vie et moi durant ce temps-là, je joue à Candy Crush. Comme un cheval avec des œillères, je suis tellement concentrée à passer mon niveau que j’en oublie le reste du monde. Imaginez si je passais à côté de l’homme de ma vie qui revient de voyage, qui a fait le tour du monde, qui a juste ça à faire me raconter ses péripéties, ce qu’il a vu et entendu, mais je l’écoute pas à cause de mon cellulaire. C’est peut-être pas le cas, le gars pourrait être autre chose complètement, mais je ne le saurai jamais parce que j’écoute pas.
Prenons par exemple le monsieur assez âgé qui se parle tout seul, parce que, soyons honnête, il y en a toujours au moins un dans chaque trajet, eh bien ce monsieur-là en a peut-être plus à dire que ton prof de philo, mais ça non plus on le saura jamais. Parce qu’on écoute pu, on regarde, on juge, mais on écoute pu. On aime mieux faire des concours de gouttes d’eau qui ruissellent sur la fenêtre du bus quand il pleut. Si on levait la tête juste un peu, on pourrait assister à un spectacle. Le spectacle le plus simple et juste. L’histoire de ces individus peut-être sans voiture, sans talent pour les nouvelles rencontres ou trop, certains même sévèrement atteints, mais qui en ont sûrement plus à dire qu’un objet électronique.
LE bus c’est un moment de transition entre un point A et un point B, un moment où à la place d’attendre, on pourrait avoir la possibilité de connaître le personnage de l’autre. Il serait peut-être temps qu’on laisse faire les monologues et qu’on se mette aux dialogues.