Je suis venue avec ma voiture. Je l’ai stationnée juste devant, sur la rue Cartier. Et la fenêtre du côté passager est brisée. Elle est ouverte depuis trois jours et hier il a mouillé. Je fourre un album des Violent Femmes et un deux piasses dans mon sac pour pas qu’on me les vole. Je sors par le côté conducteur et je barre les portes. Deux fois.
Je marche, ouvre la porte et descends les escaliers d’un « resto urbain nouvelle génération ». À l’avant-dernière marche, je peux entendre quelqu’un rapper. À la dernière marche, j’entends encore quelqu’un rapper. À la fin de l’escalier, je vois quelqu’un rapper.
Le gars qui rappe porte une chemise propre avec un manteau vert, des bottes à talons et des cheveux noirs en boucles lui tombe sur le visage.
Je le trouve baisable.
Très.
Je m’assis au bar, mais je peux pas boire. Et je commande un verre d’eau parce que je peux pas boire. Et ça m’emmerde de pas pouvoir boire.
Ce soir au Rideau Rouge, c’est une soirée Micro Ouvert. Et je comprends pas ce que le gars baisable rappe parce que c’est du oldschool et c’est en anglais et ça va vite. J’analyse les gens autour. Et trois gars de genre trente ans habillés en costume cravate me regardent. Je souris et je prends une gorgée d’eau. Six minutes plus tard, huit shooters sont alignés devant moi.
– « De la part des gars là-bas »
Je me retourne. Ils marchent tous les trois vers moi. Je dis merci. Le gars qui rappe nous regarde. Il rappe vraiment bien. Vraiment, c’est bandant.
– « On en a deux chaque », dit le trentenaire à la cravate mauve.
– « C’est du Jack », dit le trentenaire à la cravate verte.
– « On chin », dit le trentenaire à la cravate rose.
Et moi je dis:
– « Chin! »
J’ai bu les deux shooters. Je me lève. Je sors et je marche vers ma voiture. Je débarre les portes de l’intérieur par la fenêtre brisée. Je m’assois du côté passager. J’ouvre le coffre à gants et sors une fiole de vodka.
Je l’ouvre. Je la bois. Je la vide. Je m’assois sur le trottoir. Je laisse descendre.
Au-dessus du Rideau Rouge, il y a des appartements.
Sur le balcon d’un d’eux ( le plus en haut à gauche ), deux personnes, un gars et une fille, sortent des tonnes et des tonnes de couvertures. Ils les empilent les une par-dessus les autres sur le deux mètres carré de surface. Au bout d’à peu près trente couvertes, le gars dit :
– « Okay on amène tu le reste? »
Et la fille lui répond pas. Elle le regarde et c’est tout. Le gars retourne à l’intérieur. La fille regarde ses pieds s’enfoncer dans les draps. Il ressort avec deux oreillers et deux tasses de chocolat chaud avec de la crème fouettée et de la petite poudre brune dessus. Et puis le gars et la fille s’assoient dans le tas de couvertes. La fille boit une gorgée de son chocolat chaud. Elle pose la tasse dans un coin et elle crie. Vraiment fort.
Trop de bonheur en même temps dans la même personne.
Je retourne à ma voiture. Je baisse les bancs arrière. Je déroule deux sleeping bags et une grosse couverte rose. Je fais des oreillers avec des chandails de laine et j’ai un lit.
Je m’assois au bar une deuxième fois. Les trentenaires en costumes cravates sont partis. Le gars qui rappe chante « Pumped Up Kicks » de Foster the People. Il chante aussi bien qu’il rappe. Ça le rend encore plus sexy. Il finit la chanson. Il s’emmène vers moi.
– « Salut », il dit.
– « Salut », je réponds.
– « J’ai faim, tu viens? »
– « Eh, ouais »
On sort du Rideau Rouge et on marche jusqu’au Tim Hortons. Là-bas on mange de la soupe avec des bagels et des muffins. On marche jusqu’à ma voiture. Je débarre les portes par la fenêtre brisée. Le gars qui rappe ouvre le coffre. Il se couche sur le lit que j’ai fait tantôt. Je ferme le coffre et je me couche à côté de lui. On s’embrasse. On s’endort.
À trois heures du matin.
Sur la rue Cartier.
Avec une fenêtre brisée.
Le lendemain matin, on est allés s’asseoir sur la terrasse du café Krieghoff et on a commandé deux chocolats chauds.
Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com