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Retomber sur ses pattes – Par Noémie Rousseau

Je suis une cinglée de mon chat. Je suis attachée à ce chat et il m’adore; je le vois dans ses yeux endormis lorsqu’il se réveille en même temps que mes mouvements du matin, la patte allongée sur mes cheveux, le corps étendu sur la moitié de mon oreiller. Ce chat, de son nom Peanut (ma mère voulait l’appeler Gerry Boulet, mais j’ai refusé), fait partie de mon quotidien depuis mes 10 ans. Je me souviens parfaitement comment il est apparu dans nos vies et comment il s’est ancré dans la mienne…

Nous avions eu une nouvelle chatte : Mémé. Blanche et noire, insignifiante et fugueuse. Un jour, Mémé s’est sauvée. Aucune note sur le comptoir, aucun message sur le répondeur, aucune trace d’elle. Partie. Elle a même laissé sa nourriture dans son bol et pourtant, dieu sait ô combien cette petite gloutonne aimait s’empiffrer. Évidemment, nous nous sommes mis à sa recherche, toute la famille, à ouvrir l’œil pour cette boule de poil aux quatre coins du petit village que j’habitais à l’époque.

— « Mémééééééééééééééé »

— « Mémééééééééééééééé »

Aucune réponse, seulement quelques têtes curieuses entre les rideaux qui nous regardaient d’un air étrange. Peut-être pensaient-ils que nous avions perdu notre grand-mère? Bref, les jours ont passé et l’espoir de retrouver notre chat, nous quittait peu à peu tristement.

Un soir de tempête, ma mère désespérée, ouvrit la porte de derrière et se mit à crier son nom, encore, plus fort, juste au cas où, pour se rassurer.

— « Méméééééééééééééé »

— « Méméééééééééééééé »

Mais rien. J’ai senti dans son cœur que ce serait la dernière tentative qu’elle ferait et que jamais nous ne reverrions Mémé.

Tout à coup, un chat bondit de nulle part, mouillé, l’air affamé et se faufila entre les jambes de ma mère pour franchir la porte et goûter à la chaleur de notre foyer. Cette bête rousse, assise sur le bois franc de la cuisine, nous regardait bêtement de ses deux pupilles vertes et nous suppliait, par son courage et sa volonté de s’être introduit sans invitation, de lui laisser une place pour se reposer.

Une moitié de sac de bouffe pour « chats adultes » plus tard, ce félin rôdait toujours près de nous et tranquillement, on s’habituait à ses délicates minouches de coin de dents et ses petits frottis de nez contre nos oreilles. Cet invité savait se faire apprécier. J’y succombais doucement, mais mon ancien chat me manquait et je n’avais pas envie de l’échanger, pas maintenant, je n’étais pas prête.

Un avant-midi d’août, dégringolant le trottoir de la rue Principale en bicyclette, j’ai aperçu devant moi, par terre, un semblant d’animal au ton de noir et de blanc, raidi par la mort. C’était Mémé. Je suis rentrée à la maison, les yeux dans l’eau et le cœur noyé, pour chercher l’autre chat. Je l’ai serré fort dans mes bras, puis je lui ai murmuré une phrase que je lui répète encore aujourd’hui : « Toi, tu vas être immortel ».

Au fil des ans, je me suis approprié cet animal et lui m’a prise pour sa maîtresse. Je le nourrissais, l’entretenais, le protégeais et, lui, en retour, il m’aimait. Il a grandi à mes côtés, à travers tous mes petits nuages, qu’ils soient blancs comme neige ou gris comme les orages.

À 17 ans, j’ai décidé que j’étais prête. Prête à voler de mes propres ailes, prête à vivre une vie d’adulte, sans les adultes. Je voulais être libre, alors je suis partie, un baluchon de confiance derrière l’épaule, mon chat dans les bras, des meubles dans le camion. J’avais désormais un appartement, loin de tout ce que je connaissais. Je n’avais pas peur. Pour moi c’était simple, je trouverais du travail et j’irais à l’école en septembre, comme prévu.

Après avoir déballé ma vie, avoir fait ma première épicerie, manger mon premier repas, m’être endormie pour la première fois dans ma chambre aux murs beiges et m’être réveillée dans mes nouveaux draps, j’ai étouffé. Je me suis mise à stresser, à paniquer, à m’agiter, à mal respirer. J’ai eu une crise d’angoisse. Tout d’un coup, tout me semblait impossible à atteindre, tout me semblait fragile, tout était flou, tout était loin… loin… Je n’étais pas prête du tout à jouer les grandes personnes, mais impulsivement, maladroitement, j’avais cru le contraire, dans un élan de rébellion, sans penser aux conséquences. C’était trop tard. Je m’étais mise dans cette situation par ma faute et j’en étais la coupable, trop concentrée à vouloir prouver que j’étais capable. Je m’étais entreposée dans une impasse, de cette vie dont je ne voulais plus, loin de ma famille, loin de mes amis, toute seule, dans une grande ville.

Alors j’ai dormi. J’ai dormi des nuits, des jours, des jours, des nuits. J’ai arrêté de compter. Je me suis dit que j’allais aller mieux, que c’était le mal du pays, que bientôt je retrouverais la motivation que j’avais perdue entre mes deux continents pour recracher mon sourire, ma joie. Pourtant, les semaines s’empilaient et moi j’empirais. Je vivais comme un ermite et devant les autres, j’exhibais ce même faux sourire automate, convaincant, mais hypocrite, laissant croire à tous que tout était parfait. Cependant, hors des regards, je vivais dans le noir constant, fermant de plus en plus la porte à tout ce qui m’entourait, car je ne pouvais expliquer cette sensation de mort qui grandissait dans moi, sans savoir comment ni pourquoi. Je me sentais si seule dans une bataille que je n’avais pas déclarée, dans un périple où je ne voyais plus la fin et pourtant, je me reprochais sans cesse de n’être qu’une petite égoïste qui se plaint le ventre plein tandis que d’autres souffrent d’un mal réel.

J’ai réalisé que j’avais un problème, un soir où j’étais assise sur le sol, chez moi, dépourvu de toute rationalité, le souffle coupé par les sanglots, mon corps présent, le reste, ailleurs, quelque part dans ma tempête. Mon chat est devenu craintif, lui qui, depuis le début, me regardait dépérir, miaulait comme s’il s’inhibait de mon malheur et criait mon désespoir. Je n’arrêtais plus de pleurer, je respirais lourdement, tragiquement, je crachais mon mal sans y ressentir les biens faits, je me vidais. Les miaulements de plus en plus déchirants m’écorchaient les oreilles, puis, sans m’y attendre, il m’a mordu le bras. Fort. Très fort. Il m’a percuté violemment avec ses dents, car mon combat était aussi le sien et j’ai su, à ce moment-là, aussi absurde que cela puisse paraitre, que je devais me battre, pour lui, pour moi et pour tous ceux que j’aime.

Le lendemain, j’ai tout abandonné, j’ai tout avoué, je n’avais pas de mots dans mes valises, juste des larmes et un chat. Je n’avais pas besoin de parler, il suffisait de me regarder, pour comprendre que j’avais malencontreusement dévié de la route pour m’écraser durement sur le seuil de la dépression.

Heureusement, j’ai eu l’aide nécessaire pour passer à travers cette période douloureuse, par ma famille et par des professionnelles de la santé. J’ai visité une psychologue, j’ai pris des antidépresseurs et en quelques mois, j’ai guéri, j’avais repris le dessus sur ma vie, j’avais vaincu la dépression. Il n’y a pas de honte à avoir, ni même de culpabilité à ressentir, c’est une maladie mentale qui affecte beaucoup plus de personnes que l’on croit, des personnes qui souffrent en silence, par peur d’être jugées. Je n’étais pas vulnérable, je n’étais pas une lâche, je n’étais pas une folle, je suis juste humaine.

Moi et Peanut on file encore le parfait bonheur, jamais je ne pourrais m’en débarrasser. C’est plus qu’un chat, c’est un compagnon, un ami avec lequel je vis depuis plus de 12 ans, c’est important de prendre bien soin de nos petites bêtes, car peu importe ce qu’il arrivera, ils resteront toujours près de nous.

 

Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com

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