Je n’ai pas toujours été une bonne grande sœur. Je n’ai pas toujours été une très bonne fille non plus. Ce n’est que depuis les dernières six années que je réalise à quel point il est facile de s’éloigner de sa propre famille, qu’on tient tellement pour acquise. J’ai eu la chance, enfant et adolescente, d’avoir des parents pro plein-air qui nous encourageaient, mes frères et moi, à faire toutes sortes d’activités, sportives ou non.
Et c’est ce lien que j’ai réveillé lorsque j’ai proposé à mes frères et mon père de nous aventurer sur l’Acropole des Draveurs, dans la magnifique région de Charlevoix. Des activités comme celle-là, nous n’en avions pas fait depuis bien longtemps! Ça remontait à mon adolescence… et j’approche maintenant dangereusement la trentaine! Vous imaginez ma joie lorsque mes deux cadets et mon paternel ont confirmé être partants pour cette escapade d’un jour : j’exultais!
Deux semaines et quelques échanges de textos plus tard, nous étions au pied de l’Acropole des Draveurs, chacun son sac sur le dos, chacun ses appréhensions sur la journée à venir. Et des appréhensions, j’en avais! Est-ce que j’allais ralentir le groupe? Est-ce que j’allais avoir assez de force dans les jambes pour atteindre le sommet? Est-ce que j’allais avoir assez de cœur pour redescendre? Est-ce que j’allais… est-ce que j’allais… est-ce que j’allais… C’était comme si j’oubliais que nous allions monter la même montagne!
Heureusement, dès le début de l’ascension, je me le suis rappelé… Quoique bien marqué et facile à suivre, le sentier en méandre de l’Acropole des Draveurs ne s’étend pas devant le marcheur, il pique vers le sommet! Disposées en escalier, des pierres plates et distancées forment l’essentiel des deux premiers kilomètres de la montée. À pic, le chemin laisse à peine assez de temps pour le contempler. Sans blague : j’ai remarqué plusieurs détails du paysage qui nous entourait, une muraille de rochers imposante notamment, seulement lors de notre descente! La randonnée s’annonçait difficile.
Après seulement quelques centaines de mètres, le souffle court, je me demandais dans quoi je nous avais embarqués! Je n’étais pas la seule à souffler : mon père, le visage couleur d’automne, peinait à grimper à cause d’une douleur au genou alors que mon frère « du milieu » expulsait le plus d’air possible de ses poumons… Quant à moi, je sentais mes genoux un peu tremblants, je dois l’avouer! Seul le benjamin semblait bien se porter, jusqu’à ce qu’il cesse de marcher soudainement, se tourne vers moi, mette les mains sur ses hanches et soupire un bon coup. Ce fut arrêt. Une fois cette première pause terminée, nous avons repris le chemin du sommet, un peu plus tranquillement.
C’est drôle parce que, sans trop le vouloir et sans trop m’en rendre compte, je me suis retrouvée la tête collée dans le dos, à toujours vérifier si tout le monde allait bien d’un regard rapide. Et, drôlement aussi, je n’étais pas la seule! Au fil des pas et des changements de tête de file, l’un de mes frères passant devant ou mon père nous précédant, chacun d’eux a tourné la tête plus d’une fois, ralenti, proposé une pause. J’ai aimé voir mes frères jeter un œil à mon père ou se demander l’un et l’autre si tout allait bien. J’ai aimé ralentir notre rythme de marche pour permettre à chacun de nous de s’ajuster à la vitesse du groupe. J’ai aimé les pauses spontanées et les collations en retrait du sentier. Notre quatuor, qui avait commencé son ascension trop rapidement et, disons-le, avec orgueil, c’était détendu. Nous ne visions plus à atteindre le sommet le plus rapidement possible, seulement à l’atteindre. Et vous savez quoi? Je me sentais bien en déséquilibre au milieu de ma fratrie et des arbres!
Assez bien pour discuter de toutes sortes de choses, des jeux vidéo à nos emplois respectifs en passant par nos plans futurs, le tout sur un sentier qui devenait de plus en plus aisé à suivre, de moins en moins abrupt. Et de plus en plus, j’avais l’impression que le lien qui unit mes frères, mon père et moi était le même que quand j’étais enfant. De plus en plus, je me rendais compte que, peut-être, mes craintes de m’éloigner trop de ces personnes que j’aime étaient seulement miennes, pas leurs. Que je m’en faisais pour rien, que mes frères seraient mes frères. Franchement, sur cette montagne avec mes deux cadets et mon père, j’étais vraiment heureuse!
C’est dans cet état d’esprit que nous avons atteint, après trois heures de marche, le sommet #1, puis les sommets #2 et #3. Et soudainement, j’ai vu tout ce qu’il y avait autour de moi : la Rivière-Malbaie et le barrage qui l’entrave au pied du mont, les flaques d’eau gelée apparaissant ici et là sur les sommets, l’incendie de couleurs rongeant les flancs des montagnes qui nous faisaient face. Toute la végétation criait « automne »; le ciel gris n’affadissait même pas les feuillages. L’Acropole des Draveurs, pour quelqu’un qui veut faire une randonnée difficile, mais pas trop, est la bonne destination. Pour le randonneur qui veut admirer un paysage à couper le souffle qu’importe la saison, c’est aussi la bonne destination. Du haut des trois sommets du mont, il est possible de voir au-delà du mont de l’Équerre.
C’est avec le cœur et le pied légers que j’ai redescendu l’Acropole des Draveurs. C’est avec bonheur que j’ai vécu cette journée et c’est avec impatience que j’attends la prochaine aventure du quatuor Allard.
P.-S. – Un merci tout particulier à ma mère pour les excellents lunchs mangés sur le sommet #2!
Crédit photo de couverture: stevedeschenes_hgo Sépaq