Mon meilleur ami va avoir 25 ans dans quelques jours.
Il est apparu à un moment charnière de ma vie et, depuis, il la bouleverse de fond en comble.
Chaque étape, chaque évènement, chaque moment d’importance, d’insignifiance et de joie, il était là. Ou du moins, je l’y souhaitais.
Il a pris la place du petit frère faussement relax. Et moi, celle de la grande sœur envahissante.
Disons simplement que nous sommes deux grands angoissés. Deux négatifs font un positif. Des sciences physiques de secondaire 4.
C’est un être profondément brillant, complexe, spontané, émotif et grand que je respecte pour tous les talents, pour tout ce qu’il est en mesure d’accomplir et qu’il ignore encore.
Mais voilà, il va avoir 25 ans dans quelques jours. Et plus cette journée approche, plus je regarde derrière en me disant que nous avons changé. Terriblement changé, depuis nos débuts.
Lui, bientôt 25 ans.
Moi, bientôt 30 ans.
Plus qu’au début de notre amitié, l’écart d’âge entre nous s’agrandit.
Il aspire à devenir lui-même, entier et plus confiant. Il cherche à se définir, à trouver ses marques, un équilibre, l’amour – comment ne pas en vouloir? Vous savez, les grandes quêtes.
Lui vous dirait qu’il cherche à être bien avec lui-même. Je lui ai dit, je me souviens, cette même phrase, avant sa séparation amoureuse, il y a quelques mois. Il ne m’avait pas écouté.
C’était une des dernières fois où je me suis crue essentielle à ses yeux.
Souvent, notre écart d’âge n’existe pas. Nous sommes sur la même longueur d’onde. Sur une même pensée. Sur les mêmes projets.
Parfois, c’est une force, et on le réalise. Il porte sur ma vie un regard honnête et sans barrières. Libre, quoi. J’écoute. Parfois, c’est à mon tour de lui faire comprendre la portée de ses gestes, ce qui se passe en lui, pour moi-même l’avoir traversé. Il m’écoute, quand ça lui chante.
Ensemble, nous vivons un équilibre fragile.
Parfois, et de plus en plus souvent, je me demande comment parvenir, dans les prochains mois, les prochaines années, à vieillir en équilibre.
Il vit de plus en plus sa vie librement, s’aventurant dans de nouvelles avenues qui l’éloignent de ce que j’aime tant de lui. Il change, irrémédiablement.
Je sais que, moi aussi, j’ai changé, irrémédiablement et profondément, cette année. On ne ressort jamais indemne de l’épuisement et de la peine, de la maladie et des croyances désavouées.
Et si je cherche tout l’immuable de ce monde, lui, il avance les deux pieds dans la mouvance.
Reste que je le vois vivre sa vingtaine dans ce qu’elle comporte de meilleur et de pire (boisson, sortie sur sortie, les amitiés éphémères, l’impulsivité, un je-m’en-foutisme par rapport aux autres). Difficile de le suivre alors que je ne bois pratiquement plus, que je n’ai plus la force et l’énergie de le suivre dans les foules. Moi, je suis fatiguée de ma vingtaine.
Reste qu’il me semble que mes messages passent moins bien, que ma présence est moins amusante qu’avant.
Reste que quand je constate ses nouveaux projets, que je regarde les miens, nous n’y sommes plus en duo, comme avant.
Reste ce pincement au cœur qui me divise : je suis si heureuse qu’il prenne enfin la mesure de tout son être et de ses possibles, avec la force que je lui souhaitais pour le faire, et je me désole, en contrepartie, de voir que je n’y suis plus pour grand-chose.
Je l’aime assez pour le laisser faire. L’équilibre n’y est plus, voyez-vous? – Tu vois?
Je ne m’aime pas assez pour lui en parler. Je vis dans une crainte muette qu’il annule un rendez-vous, qu’il ne réponde plus à mes messages, qu’il continue de me faire des secrets, qu’il s’absente pour voir des amis qui ne sont pas moi.
Comment le perdre, alors qu’il est de tous mes fondements? Il aura 25 ans dans quelques jours. Comment lui demander un retour en arrière alors que tout commence à peine pour lui?
Il est apparu à un moment charnière de ma vie et, depuis, il la bouleverse de fond en comble.
Chaque étape, chaque évènement, chaque moment d’importance, d’insignifiance et de joie, il était là. Ou du moins, je l’y souhaitais.
Depuis, encore, et j’espère, pour les années à venir, il sera encore là pour m’apprendre à passer outre les déceptions qu’il m’occasionne parfois, sans s’en rendre compte. Il me mettra sur le chemin de la résilience, car il en faut beaucoup pour laisser grandir un ami aussi grand que lui sans lui porter ombrage. Et que je saurais parvenir, comme lui, à l’acceptation de soi, dans tout ce que ça comporte comme gain, glissement et perte.
J’espère (les dix doigts croisés) que le meilleur est encore à venir pour nous et pas que cette année.
Pour une fois, je t’aime. – Moi plus.
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