Dans quelques semaines, ça fera deux ans que j’ai décidé de perdre du poids. Pas cinq livres, pas dix livres. Nanon. Je me suis dis que je me débarrasserais une fois pour toute de mon surpoids, qui était de plus de 100 livres à l’époque. J’en avais assez. J’avais atteint dans ma tête un point de non-retour: je commençais à m’inquiéter pour ma santé, j’avais mal partout, je me sentais prisonnière d’une enveloppe de chair. Je ne m’autoriserais pas l’échec. Je n’avais pas 26 ans et déjà, j’avais les voûtes plantaires affaissées, un taux de cholestérol inquiétant et une pression artérielle qui faisait faire des gros yeux à mon médecin.
Du jour au lendemain, je me suis fait la promesse de ne plus manger mes émotions, et d’arrêter de me mentir ou de me trouver des excuses pour ne pas bouger. Je mangeais bien et faisais du sport cinq jours par semaine. Mon taux d’énergie a grimpé en fou et les kilos se sont envolés, si bien qu’entre le 22 septembre 2014 et le 22 septembre 2015, j’avais perdu 105 livres.
J’avais du mal à y croire. Ça n’avait pris qu’un an. C’est presque comme si j’avais trouvé le processus… facile. Au début, j’étais un peu euphorique. Je pesais 150 livres, mon poids santé par rapport à ma taille. Je marchais – courais même! –, je trouvais (et trouve encore) du plaisir dans l’effort et j’étais contente de pouvoir enfin fréquenter tous les magasins dont j’avais envie. Tout était bien qui finissait bien?
Non.
Je ne me doutais pas que c’était la vie post perte de poids qui allait être difficile. Je vous entends déjà dire : «Elle chiale donc ben pour rien, elle.» Je vous donne à moitié raison.
La soudaine claque dans face, c’était de me rendre compte que malgré tout cela, je ne suis pas plus heureuse qu’avant. Mes problèmes ont été remplacés par d’autres problèmes.
Oui, ma santé est meilleure. Mon corps entre maintenant dans des vêtements plus petits qu’avant. Mes cuisses ne frottent plus. Je n’ai plus de double-menton et mes traits sont plus définis. Mais ma peau est ravagée. Pour toujours. Une perte de poids aussi rapide ne laisse pas à la peau le temps de s’adapter. Résultats? Peau du ventre et des cuisses relâchées, vergetures à volonté et manque de tonus général. Même si je faisais des redressements assis deux heures par jour pendant mille ans et que j’avais les abdominaux les plus définis du monde, on ne les verrait même pas. Ils seraient cachés sous la peau en trop que je traîne sur moi. Pour couronner le tout, je suis aussi recouverte de cicatrices, entre autres suite à une réduction mammaire qui a très mal guéri. J’évite les miroirs. Je suis encore awkward dans l’intimité. Je suis un terrain vague et flasque. Ma vision de moi-même est déformée. Je suis incapable de dire : je suis mince. Je refuse de prendre mon poids pour acquis et j’ai souvent très peur de reprendre les kilos perdus, même si je maintiens mon poids depuis un an. Si j’ai perdu tout ce poids aussi vite, c’est que je peux le reprendre du jour au lendemain, hein?
Non, justement. J’ai fait des changements durables à mon mode de vie. Ça, il faut que je me le répète souvent.
Mes peurs sont irrationnelles, j’en suis consciente. Je n’ai heureusement pas développé de trouble alimentaire grave, mais ma relation avec la nourriture est étrange. Il y a des jours où je ne pense pas du tout à ce que j’ingère, d’autres où je me sens coupable d’un morceau de fromage en trop.
Je trouve ironique d’avoir si peur de redevenir comme avant, alors que je suis la personne la plus body positive ever. Cordonnier mal chaussé…
Au courant de l’hiver, j’ai rencontré une amie artiste qui fait régulièrement des portraits de nus. Je ne sais pas si j’ai été victime d’un ACV temporaire sans m’en rendre compte, mais je lui ai demandé de me dessiner. J’ai choké une fois, puis j’y suis allée. Je lui ai dit de ne pas lésiner sur le réalisme. Si y’a des bosses ou des creux étranges, qu’elle les montre. Qu’elle trace toutes mes cicatrices, toutes mes vergetures. Elle a fait un travail exceptionnel, autant sur le papier que dans ma tête. C’était moins effrayant que je pensais. J’ai la chance d’être tombée sur une artiste profondément sensible qui sait parler aux gens. Le fait d’avoir jasé avec elle de l’image qu’ont les gens d’eux-mêmes a fait de cette expérience un souvenir indélébile. En voyant les dessins, j’avais l’impression de me voir pour la première fois : je me voyais par les yeux de quelqu’un d’autre. Et je me suis trouvée belle.
Ça, c’était un pas de géant dans la bonne direction.
L’acceptation de soi, qu’elle soit une question de poids ou non, est un défi de tous les instants pour moi, mais aussi pour la majorité des gens. Se trouver belle, se trouver beau devrait être naturel. Soyons indulgents envers nous-mêmes, ok? On le mérite toutes et tous.
Illustrations par Joanne Leblanc