Entre l’âge de 16 ans et 22 ans, je suis devenue une Américaine. J’ai fait mon éducation supérieure là-bas, et j’ai appris la langue si bien que personne ne pouvait déceler que je ne venais pas du coin. J’ai appris à aimer la musique country, à célébrer le 4 juillet, je suis même allée à l’église le dimanche pendant un moment. Vous vous direz peut-être que je n’étais pas vraiment une « immigrante », que les États-Unis ce n’est pas si éloigné de nous – pas de la façon qu’Alep est de Val d’Or, par exemple… mais vous n’avez qu’à suivre un peu l’actualité et vous imaginer en train de vivre dans une partie des USA où Donald Trump est roi, pour vous faire une idée du dépaysement que j’ai vécu. Dans une Amérique profonde, oui, j’étais une femme blanche, ce qui a aidé, mais j’étais définitivement une foreigner, une étrangère, comme ils m’appelaient là-bas, avec mon accent, ma laïcité et mon ouverture d’esprit qui détonnaient avec les gens de la place, des gens que, je tiens à le préciser, j’ai appris à beaucoup aimer.
En revenant au Québec, en regardant la situation de l’immigration, ce que j’en suis venue à réaliser, c’est qu’à la base du problème se trouve notre incompréhension de ce que vit l’autre, l’étranger. C’est tellement difficile, lorsqu’on a vécu à quelques minutes, quelques heures tout au plus, d’où nous sommes nés, et ce, toute notre vie, de se mettre dans les souliers de quelqu’un qui arrive dans une culture complètement différente. Pourtant, j’ai l’impression que la solution part de là : nous avons besoin de nous comprendre. Et, parfois, c’est plus facile de comprendre quand c’est quelqu’un comme nous, avec nos mœurs, nos coutumes, nos origines qui nous expliquent en quoi ça consiste, être un immigrant. C’est ce que je vais tenter de faire.
Au début, ce qui est difficile, c’est l’ajustement : apprendre la langue, apprendre les coutumes, apprendre ce qu’on a le droit de dire et de ne pas dire, apprendre comment les gens pensent et réagissent. Après, une fois qu’on s’est intégré, c’est difficile autrement. C’est difficile parce qu’on devient en constante dualité avec la personne qu’on était et la personne que l’on devient. Nous devenons un peu comme une pièce d’un casse-tête avec un coin abimé. On ne fit plus vraiment chez nous : quand on revient, on a un accent ou on s’habille différemment et nos amis et nos proches nous disent à quel point on a changé. Puis, on retourne dans notre nouvelle patrie d’adoption et on a aussi un accent, on laisse échapper un point de vue qui nous trahi, on accorde de l’importance à des fêtes ou des événements qui trahissent notre culture d’avant. On ne fit pas complètement, ni ici, ni là-bas.
Souvent, on entend les gens dire des choses telles que : « Si tu veux venir vivre ici, tu devrais vivre comme nous. T’es pu chez toi, adapte-toi. » Jusqu’à un certain point, je comprends ce raisonnement et il doit clairement y avoir un effort d’ouverture fait de la part de la personne qui arrive. Cependant, il faut aussi essayer de s’ouvrir et comprendre ce qu’on demande vraiment, lorsqu’on demande à quelqu’un d’abandonner sa culture. C’est énorme, c’est inhumain, c’est abandonner une partie de soi, quand on a déjà été déraciné.
J’ai essayé de trouver une métaphore, une image pour convier ce sentiment, cette dualité entre ces deux cultures qui deviennent nôtres.
Quand on est immigrant, notre ancienne culture est comme un vieux t-shirt usé et notre nouvelle culture est comme un nouveau veston vraiment beau qu’on vient d’acheter. On adore le nouveau veston, on en est fière, il nous va bien et on le porterait tout le temps. Sauf que des fois, des journées où on se sent moins bien, moins à l’aise, on a envie de mettre le vieux t-shirt doux et usé, mais qui nous rappelle notre enfance, qui nous réconforte, dans lequel on se sent bien, dans lequel on se sent soi-même. Les jours où on met le vieux chandail, ça ne veut pas dire qu’on aime moins le veston, qu’on en est moins fier ou qu’on veut le rapporter au magasin. Ça veut simplement dire qu’on ressent un besoin différent.
C’est la même chose pour notre culture : certains rituels, certaines coutumes, certaines croyances restent avec nous parce qu’elles sont parties inhérentes de qui nous sommes, parce qu’elles nous font sentir bien les jours où on se sent moins chez nous. Ça ne veut pas dire qu’on ne respecte pas notre nouvelle culture, qu’on ne veut pas se l’approprier… ça veut juste dire que, parfois, on a envie de porter le vieux t-shirt sous le nouveau veston. On a envie d’être un tout, un mix, et surtout ne pas se sentir jugé d’aimer encore nos mœurs d’avant tout autant que nos nouvelles. On a envie que les gens comprennent que oui, on est un peu différent, mais qu’on a assez d’amour à donner à nos mœurs d’avant et à nos nouvelles.
Je suis consciente que ce texte ne règle pas la question de l’immigration et des accommodements raisonnables, mais j’espère que ça permet un peu à ceux qui n’ont pas connu le sentiment d’être étranger de s’identifier à ces gens qui viennent d’ailleurs, qui souvent ont quitté leurs patries parce qu’ils ont été forcés. Leur demander de renier tout ce qu’ils sont, ça ne fait pas avancer le Québec, c’est simplement être cruel et enlever un confort à des gens qui ont déjà perdu beaucoup. Le monde est vaste et magnifique et il y a de la place pour toutes sortes de cultures… Quand on est immigrant, on est conscient qu’on est différent et, le pire, c’est de se le faire rappeler constamment.
Et puis, le monde, dans l’fond, c’est un grand walk-in… y’a de la place pour plus qu’un seul morceau de vêtement. C’est le temps qu’on s’en rende compte, je pense.
Par Marie-Christine Chartier
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