Jusqu’au 9 mars prochain, le public est invité à prendre part à une expérience hors du commun à l’Espace Libre à Montréal : le spectacle Home Dépôt, musée du périssable. Vous entrerez, le temps d’une soirée, dans l’univers d’un Centre d’hébergement et de soins longue durée. On pourrait qualifier le projet de théâtre-documentaire, mais c’est beaucoup plus que ça : c’est à la fois du théâtre, mêlant danse contemporaine, projections vidéo et lectures publiques, mais c’est aussi un spectacle de musique, une exposition et une expérience immersive qui permet de toucher à la réalité des gens dans les CHSLD du Québec, qui sont d’ailleurs présents et mis en valeur tout au long du spectacle.
Avant même que le spectacle ne débute, on invite les spectateurs à prendre un numéro, à mettre des couvre-chaussures bleus et à s’asseoir dans la salle d’attente. L’espace est exigu, on se retrouve parfois, sans le vouloir, à voir son genou frôlé celui de l’inconnu à côté de nous. Dans le corridor de la salle d’attente passent des gens malades, en fauteuil roulant, qui n’ont pas suffisamment de place pour circuler. Manque d’espace, manque de confort, malaises, perte de dignité, écrans qui projettent Les feux de l’amour et des mauvaises infopubs, bruits de microphone et de walkie-talkie du personnel : bienvenue dans l’univers des hôpitaux et des centres de soins du Québec. « Si un mouroir est un endroit où on se laisse mourir, est-ce qu’un couloir serait un endroit où on se laisse couler? »[1]
L’attente est terminée : on nous appelle enfin par notre numéro. Une préposée, gentille, rassurante, douce, mais aussi débordée, vient nous voir pour nous souhaiter la bienvenue pour notre première visite dans un CHSLD.
L’expérience commence : on nous invite à nous déplacer dans l’espace, sans itinéraire précis, comme on le ferait dans un musée. Il y a des marchettes, des chaises roulantes, des babillards présentant des objets, des citations, des couleurs, des photos, des dessins qu’on pourrait retrouver dans les chambres d’un CHSLD. Le personnel de santé et les résident.e.s de CHSLD sont aussi parmi nous.
Il y a, surtout, comme sur un piédestal, la représentation d’une chambre d’un CHSLD dans laquelle se retrouve un homme, le comédien Alexandre Vallerand, atteint de paralysie cérébrale, que vous avez peut-être vu dans le documentaire d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’André Turpin sur la sexualité des personnes handicapées. Certains n’osent pas trop regarder Alexandre, comme s’ils avaient l’étrange impression d’observer une bête dans son enclos. Mais au contraire, le jeune homme nous sourit, nous salue et nous invite à aller lui parler à travers les murs vitrés de sa chambre.
On propose ensuite aux spectateurs de s’asseoir un peu partout dans la salle : des gens prennent place sur les chaises de plastique éparpillées au hasard dans l’espace, d’autres sur les estrades. Au centre, trois auteur.trice.s perfomeur.euse.s viennent livrer des textes qu’ils ont écrits à partir de la prémisse de création du spectacle : chaque auteur est allé à la rencontre d’un.e résident.e de CHSLD, dans sa chambre. On leur a demandé d’écrire librement sur cette rencontre, sur l’expérience qu’ils ont vécue, sur ce qui les habite.
C’est là toute la force du spectacle : Hôme Dépôt permet de voir la vie dans les CHSLD autrement que par l’idée qu’on s’en fait lorsqu’on en entend parler dans les nouvelles. On ne cherche pas à attirer la pitié ou la compassion des spectateurs, on ne parle pas du nombre de bains, du salaire des préposé.e.s aux bénificiaires ou de toute autre considération statistique, médicale ou journalistique. On tente de changer notre regard, de mettre de côté les appréhensions et les préjugés. On entre dans un univers à la fois immensément touchant, mais aussi festif, poétique, engagé, coloré par autre chose que ses murs. On comprend qu’un.e résident.e de CHSLD peut aussi être un poète, peut aussi aimer danser, chanter, triper sur la musique punk-rock, faire la fête, aimer et se faire aimer. On comprend, surtout, que derrière les résident.e.s de CHSLD se cachent des être humains comme tout le monde.
Home Dépôt, musée du périssable est un spectacle nécessaire, plus qu’important et dont on ne sort pas indemnes. Pour en savoir plus ou pour acheter vos billets pour une prochaine représentation, c’est ICI!
[1] Cette citation marquante figurait sur l’un des babillards de l’exposition.
Crédit photo couverture : Marie-Andrée Caron