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cruiser

Je sais pas « cruiser », j’ai jamais su comment.

J’ai trippé sur tellement de gars, en silence, à les regarder de loin pis à nous inventer un premier bec pis un avenir avec un chalet sur le bord d’un lac.

Toute la relation se passait dans ma tête, sans même que j’ose aller me présenter.

La dernière fois que j’ai voulu « cruiser » un gars, j’ai pris tout mon p’tit courage pis je suis allée lui dire, dans un souffle et les joues rouges, « Allô, moi c’est Virginie comme la série de Radio-Canada des années 90 ben c’est ça je voulais juste venir me présenter fait que c’est ça allô bye là ». Je lui ai serré la main pis je suis partie.

Je lui ai serré la main, genre « enchantée merci de m’engager dans votre entreprise », pis je suis partie. Pis là je parle même pas de ma mauvaise référence obscure sur une émission de Radio-Can que même nos parents écoutaient pas.

Je sais pas « cruiser ».

J’ose jamais faire un move, j’attends toujours qu’on m’aborde en premier, par peur de me faire répondre « t’es laitte, t’es pas drôle, tu pues bye » j’suppose.

Et quand je me fais « cruiser » et que je suis intéressée, je suis pas plus habile. Je ris trop fort, j’oublie de cligner des yeux, je fais des blagues pas drôles du chalet qu’on devrait avoir sur le bord d’un lac, je souris avec toutes mes dents parce que je suis déconcentrée même si je me trouve plus belle quand je souris la bouche fermée, je pose trop vite des questions sur les ex de l’autre, je parle trop vite de mes ex mariés ou famous ou les deux. Je fais plein de faux pas en m’imaginant que ça me rend attachante même si je sais pertinemment que ça peut pas être charmant pour tout le monde.

Et le pire, c’est que ben souvent, quand je suis très intéressée, je finis par décliner l’invitation à aller prendre un verre ou un café, parce que je suis awkward, parce que je suis pas la reine de la confiance en soi, parce que j’ai peur de m’attacher pis d’avoir de la peine, parce que toutes les relations que j’ai eu m’ont fait de la peine et ont fini par se terminer alors je me dis que celle-ci, la nouvelle, la pimpante, fera pas exception à la règle.

C’est moins décevant quand ça reste dans ma tête, y’a pas de cœurs qui se brisent, pas de sourires qui s’effacent tranquillement avec le temps, pas de routine qui s’installe entre les étoiles dans les yeux.

Ça vient sûrement de là, mon incapacité à « cruiser », de cette peur immense d’être blessée-barouettée, de finir trahie, la face en pleurs, à pas savoir comment je m’en remettrai un jour.

C’est plus safe, de pas savoir « cruiser ». Y’a moins de risques, moins de responsabilités sur mes épaules. Pas savoir « cruiser » c’est une maudite belle excuse.

Je sais pas « cruiser », c’est pas une fierté, c’est plutôt un bouclier, une petite armure. Parce qu’une histoire qui commence jamais ne peut pas mal finir.

Source photo de couverture

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