from-italy.com
Blog

Mon coming out de bohème

Bohème des temps modernes, je dirais. Non pas la définition relevant de la pauvreté, de l’insouciance et du rejet de la domination bourgeoise qui qualifiaient le terme au XIXe siècle, ni celle qui va souvent de pair avec les hashtags #freespirit #hippy4life #bohostyle surutilisés sur un compte Instagram, laissant croire que la planète tourne autour des champs de tournesol, de Coachella et du matcha. Mon coming out de bohème n’est pas non plus une quête d’affirmation identitaire stéréotypée avec des kimonos fleuris, des selfies dans l’herbe fraîche et des livres de philo non lus sur ma table de chevet, même si y’a beaucoup de tout ça dans ma vie.

C’est un mot comme un autre, « bohème ». Je l’ai choisi parce que « marginal », c’est tristement péjoratif. Je l’ai essayé, le moule. J’ai viraillé au cégep en obtenant des crédits par ci par là dans des matières qui m’interpellaient (les sciences molles, ça te dis-tu queq’ chose?) pour finalement obtenir un DEC sans mention parce que j’avais rien fini, mais tout commencé. J’ai fait mes études au baccalauréat en anthropologie avec brio et une perpétuelle soif d’apprendre. Pendant que certains questionnaient mon avenir, moi j’trippais en prétendant ne pas angoisser. En passant, un 3 ans à te faire demander « kessé que tu vas faire après ton bac? », c’est aussi désagréable que le bzzz bzzz d’un maringouin qui s’excite dans ton oreille en camping.

… J’ai donc entamé une maîtrise ; ça semblait logique, tsé. J’aurais pu mettre tous mes intérêts dans un chapeau et piger au sort que ça aurait fait pareil; je l’aurais sûrement pas fini, parce que choisir une seule chose, ça a été comme mettre une laisse à mon cerveau, et tirer sul’ chocker pour le ramener à l’ordre quand il s’écarte. À la suite de ce bref passage aux études supérieures de deuxième cycle, je me suis donné 1 an. 1 an où je travaillerais à temps plein dans le café qui me servait de « job étudiante » pour me remettre les idées en place, d’avoir un quotidien peu stressant et surtout d’amasser les fonds nécessaires pour adopter un corgi et faire un énième voyage, en Amérique du Sud cette fois-ci.

Une opportunité de carrière (lire ici job d’adulte) m’a été offerte dans ce café. Je n’ai pas voulu. J’ai hésité. J’ai adhéré aux conseils de mon entourage qui se résumaient à « essaye et tu verras, si tu l’essayes pas tu l’sauras pas ». J’ai dit oui. Pendant 4 mois, je n’avais plus de maringouin dans l’oreille. J’avais peu de vie sociale, peu de sommeil, peu d’énergie à investir dans mes nombreux loisirs. Mais j’avais une carrière en développement, man! Fake it til’ you make it qu’ils disent? Ouin, non, pas possible pour moi. Certaines raisons éthiques m’ont poussée à démissionner, peut-être. Mais au final, criss que j’étais soulagée d’arrêter de me prétendre heureuse dans ce milieu qui semblait m’avoir choisie plutôt que l’inverse.

Depuis, je respire. Depuis, j’ai la conscience plus claire. Je ne veux pas être définie par un travail. Je le sais depuis que mon rêve de devenir zoologiste est parti en fumée parce que j’étais poche en math. Comme si je ne pouvais pas vivre ma passion pour les animaux sans le titre #notorious. Je ne veux pas faire une seule chose. Je ne veux pas désespérément attendre ma paye pour me rappeler pourquoi je me lève tous les matins à me faire chier. Je ne souhaite pas embarquer dans la roue de surconsommation pour combler de biens le sentiment de vide que me procurent la routine et les relations superficielles. Je veux vivre dans le concrete jungle, pas y survivre.

Je n’ai plus de temps à consacrer à envier ceux qui empruntent un seul parcours, qui y évoluent de manière conventionnelle et qui y sont relativement heureux.

Depuis un mois, mon quotidien me ressemble; il est plein de surprises. Je gagne ma vie avec aisance avec les lettres et mon bilinguisme, avec les divers contrats qui viennent. Je m’implique dans ma société pour les causes qui me tiennent à cœur. Je cultive mes passions. Je m’entoure de gens aux auras positifs, énergisants. Le soir, je m’endors dans les bras de l’homme de ma vie. Je ne reste pas assise sur mon derrière à regarder le temps passer et souhaiter une autre vie; je vis. Je ne me sens plus freinée par les standards de la société, sans pour autant vivre au-dessus de mes moyens ou nier mes responsabilités.

Pas facile d’exprimer à son entourage en grande partie composé d’intellectuels carriéristes que moi, une carrière, ça m’dit rien pantoute. La peur de décevoir, la crainte d’être perçue comme un échec, un fardeau, un clown, une honte. Ça, ou appréhender le fameux « t’es tellement brillante, tu pourrais aller loin ». À moins qu’on parle d’un billet d’avion, ton commentaire n’est pas pertinent. Viens-tu vraiment de me traiter de gaspillage?

Mon coming out de bohème est fait, et ironiquement, personne ne s’est déclaré surpris. J’ai longtemps projeté sur ma famille aimante la pression que je m’inculquais moi-même, dans l’fond.

Peu à peu, je vis et assume ouvertement ma philosophie non conventionnelle, mon profil multipotentiel qui priorise, égoïstement aux yeux de certains, mon bonheur.

Le maringouin dans mon oreille est mort avec tous les jugements que je portais à mon égard.

Source

Autres articles

Robert Atelier

adrien

Le consentement : on n’en parle jamais assez

adrien

Le deuil des souvenirs qui disparaissent

adrien

Encore une p’tite histoire des années 80 – Par Meggie

adrien

Rosée estivale

adrien

gentillesse

adrien