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Ça-va-oui-toi-oui-ça-va

Y’a des soirs qui sont presque un soulagement.

Je ne les attends pas, mais ils arrivent-de-même, et c’était la solution à une réponse que je ne parvenais pas à me poser.

Un soir pas d’attentes et pas d’espoir. Pas plus qu’il n’y a de peines ou de rancunes. Y’a des soirs qui arrivent comme ça, et qu’on remercie simplement d’être arrivés – enfin. Des soirs qui surgissent quand la journée ne finit plus et où je me retrouve devant toi, en sachant que peu importe l’avant, peu importe l’après, il y aura toujours ce petit moment de soirée, entre 5 et 7 h, où je pourrai respirer enfin.

Y’a des jours où je veux appeler à l’aide.

Et parfois, y’a des soirs où tu arrives, presque comme un soulagement.

Comme par magie – même si je ne suis pas certaine d’y croire.

Tu viens de t’asseoir en face de moi – ta barbe sent le froid et ton manteau est plein de vent d’automne. T’as un sourire au coin des yeux en commandant.

– Ça va, toi?

– Oui, oui, ça va.

J’ai passé ma main sur ton épaule, sur le haut de ton dos, en te le demandant. Je sais pas pourquoi. J’l’ai fait de même – je fais jamais les choses de même. T’es en un morceau, t’es là pour vrai.

Tout va bien aller si tu vas bien.

« Ça va? », c’est la première question. La seule. Avant, il n’y a rien. Après, on verra — ça dépend de ta réponse.

Dis-moi que ça va. Dis-moi que ça va bien.

Tu vas bien aller?

Tout va bien aller.

Y’a eu beaucoup de soirs qu’on ne voyait pas arriver.

Des soirs où je ne parlais pas de colère.

Des soirs à pleurer sur le sol du salon où ça ne servait à rien de te demander si ça allait. Alors, je te demandais si tu riais. Et tu riais – une fraction de seconde, tu riais au travers de tes larmes, pour me dire que non, non, tu pleurais.

J’t’ai toujours trouvé grand d’accepter que les deux pouvaient venir à toi, en même temps.

Maintenant tu vas mieux. Pis des fois, je me dis que c’est parce que la nuit nous a laissé à cette question « tu pleures ou tu ris? », qu’on a gagné notre jour, un sourire à la fois.

« Tu pleures ou tu ris? » ça change de « ça va? ».

Tu me parles, ça fait un moment déjà. Y’a tout le portrait de ta vie qui se dessine sur le plateau de la table. C’est un brouillon de langue à langue à vif, à la fois non assagie, si simple et trop désarmante.

Trop désarmante.

J’me sens comme un chat sur une clôture de bois, comme une fille de Saint-Roch, sur la corde raide, du fil de fer d’un dessus de table zinc. Dans chacune de tes réponses, y’a l’après où je vais devoir sauter pis me mouiller à mon tour.

Il commence à pleuvoir dehors. Les gouttes brouillent ton reflet dans la vitre.

Je crains tes réponses – alors que je t’aime toi, non assagi, simple et désarmant… Et y’a toujours une partie de moi qui ne se pardonne pas de ne pas t’aimer jusque-là.

Dans ce « ça va », tu me déboules ta vie et ça m’éloigne. Y’a beaucoup de noms, beaucoup de lieux, beaucoup de projets, beaucoup de nouvelles façons d’être — être bien seule.

J’écoute et ça me met à distance.

Je regarde mon reflet dans la vitre pour me concentrer sur autre chose.

La pluie ravage ton reflet. Tu es là, au travers de mon visage qui se superpose au tien.

Mon sourire au coin des yeux – c’est le tien.

La tricherie parfaite.

Le sourire au coin des yeux.

Parce que d’un coup.

D’un coup que tu voyais une autre de mes failles.

D’un coup que tu comprenais trop vite que ça va pas tout à fait.

Pis tu me le renvoies en pleine face.

— Pis toi, comment ça va?

Miroir-miroir, cheap shot.

Comment ça va?

Dans les grandes lignes – ça va. Ça dépend de toi.

Je peux te parler pour là, tout de suite, maintenant. Mais après je ne sais pas.

Je ne sais pas en fait.

Tu es là. Quand tu es là, y’a toujours un mélange d’exaltation et de crainte, entre la fascination et l’effroi. Y’a pas d’équilibre.

Je suis juste une chachatte qui veut pas tomber de sa petite clôture de bois, de sa chaise – j’imagine que j’aurais, moi, toujours des nouvelles vies en réserve.

Nous, combien il nous en reste?

Dans tes « Pis toi, comment ça va? » y’a ma culpabilité de ne pas changer, de ne pas vieillir, de ne pas me sentir aussi bien que l’autre-là-bas, de me poser trop de questions, de ne pas m’accorder mieux au reste de ton monde – à toi. Y’a la culpabilité, au fond de mon verre, ce petit fond qui me dit que j’ai déjà été trop bas avec toi, pour t’y amener encore.

J’ai envie de te le dire. Spontanément, parfois, c’est à toi que je me parle.

Aux autres, je réponds sans réfléchir – Oui, ça va et toi? C’est une question qu’on pose en étant certain de la réponse : « oui, ça va! » Aux autres, je réponds, sans franchise. Un inconnu me le demande par politesse – il ne tient pas savoir.

Et puis, on répond quoi à « non-ça-va-pas… »? La franchise n’est pas faite pour les inconnus de passage.

Quand toi, tu me le demandes, à moi, tu es là, entier, là, en face de moi, dans l’attente de cette réponse qui ne bouleversera pas ta vie de haut en bas.

C’est ce qui est beau chez toi – cette attente passive devant mes absences et mes silences. Ta façon de recommencer et de poser la même question, fois après fois, en sachant que je ne vais pas aussi bien que je le veux le faire croire.

Que même si je ne veux pas tricher, je le fais quand même.

Que même si je te donne la réponse la plus courte qui soit, tu obtiendras un jour la longue parce que je suis du genre de ces choses qui viennent lentement au monde.

Il y a chez toi, cette façon de gagner – sans victoire.

De gagner centimètre sur centimètre, d’enlever la cendre des fenêtres. Dehors, il fait noir – la maison est en feu.

Centimètre par centimètre, de dégivrer ma vitre et d’accéder tranquillement à la clarté.

Centimètre par centimètre, d’ouvrir les gongs et de m’en faire sortir – tu es chacune de mes révoltes.

Ta clarté oblige la mienne.

Tu m’appelles à l’air.

– Emma?

Tu m’appelles à l’air.

– Quoi? Scuse, je regardais la pluie. Tu disais quoi?

– Je te demandais si ça allait?

– Oui, oui, ça va.

Et parfois, y’a des soirs où tu arrives, presque comme un soulagement.

Comme par magie – même si je ne suis pas certaine d’y croire. Même si tu n’es pas certain de croire à ce que je te dis.

Tu viens de te poser en face de moi – comme un oiseau qui veut se mettre à l’abri d’un l’orage, sur le rebord d’une fenêtre. Tes mains tapent un rythme sur ta cuisse droite, là où ton jeans est troué. T’as toujours ton sourire au coin des yeux.

Puis, en transparence, la vitre, nos visages et nos « ça va » – balayés par la pluie, comme un soulagement.

Parce qu’il y a des soirs-de-même qui n’ont pas besoin de réponses.

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