On pourrait me qualifier, je crois, d’âme sensible. Je fais partie de ces gens qui vivent pleinement les histoires. Je suis de ceux qui se placent volontairement dans la position empathique et souvent dérangeante du protagoniste. J’ai arrosé si souvent les pages d’un livre ou le clavier de mon portable, c’est incroyable. J’ai certainement les glandes lacrymales les plus souvent renouvelées sur la Terre. Sans blague. C’est limite chiant écouter un film avec moi et mes sanglots. Je sais pertinemment que ce n’est pas la vraie vie, que ce sont des histoires, mais je me sens tout de même choyée d’avoir cette capacité à me transposer dans une autre réalité que la mienne, même si parfois c’est inutilement souffrant. Quand arrive une situation difficile dans la vraie vie, j’ai l’impression que j’arrive à bien canaliser cette surcharge d’émotions accumulées et que ça m’aide à réagir avec plus de sang-froid.
Mais, s’il y a une peau dans laquelle j’arrive difficilement à me glisser, c’est celle d’un parent. Je vous ai déjà écrit, dans un précédent billet, au sujet de mon absence d’instinct maternel. Mes ovaires ne coopèrent pas. Je ne comprends pas ça, les bibittes que sont les enfants des autres, et cet amour infini, mais tellement cruel qui vient avec le fait d’être parent. Les compromis, les sacrifices, la discipline… Je l’ai lu, je l’ai vu, j’en ai été témoin plus d’une fois, mais il demeurait un mystère entier pour moi.
Jusqu’à tout récemment.
Je pense que j’ai pris un petit coup de vieux, moi aussi, et toutes les certitudes que j’avais ne sont plus. Mes repères ont changé. À l’heure où mes objectifs, mes rêves et mes convictions sont de plus en plus ancrés en moi, ma naïveté, mes doutes, mais surtout mes peurs représentent un danger beaucoup plus réel. Mes amis me sont plus chers, je saisis mieux l’importance de ma famille, j’essaie fort, malgré les embuches, de ne dépendre que de moi-même. La pression est plus grande. J’avance, comme tous les jeunes adultes, dans un chemin beaucoup plus sinueux qu’à l’adolescence, où les possibilités semblaient plus étendues. L’entonnoir rétrécit.
Je me suis donc surprise à poser des yeux nouveaux sur mon entourage. J’ai peur pour eux, et c’est la première fois que ça m’arrive. J’ai envie de leur souhaiter des bonheurs tranquilles. J’aimerais qu’ils ne prennent pas de risques, qu’il ne leur arrive rien de grave. Je me suis montrée autoritaire et réfractaire entre autres par rapport à mon petit frère dernièrement. Et je me suis entendue lui dire : « je ne veux que ton bien! ». Comme si je n’avais jamais eu son âge. Comme si je n’étais jamais tombée folle amoureuse. Comme si je n’avais jamais changé d’idée ni fait de mauvais choix.
Et c’est là que j’ai compris. C’est à ce moment que j’ai effleuré du bout des doigts ce sentiment inexplicable, cette dose concentrée de terreur et d’amour qui donne l’effet d’une décharge électrique. C’est, je crois, le plus près que j’ai été de ma vie de vivre ce que ça doit être, d’être parent. Aimer tellement fort que ça fait mal.
Mais force est d’admettre qu’on ne peut enfermer ceux qu’on aime dans une bulle de verre indestructible. Qu’il faut apprendre à laisser aller, et que la meilleure stratégie quand on se sent pris avec de tels sentiments surprotecteurs, c’est de demeurer l’allié de cette personne. D’essayer de lui prouver qu’on mérite sa confiance, qu’elle peut se confier à nous, qu’on sera là pour l’appuyer en cas de besoin. Le reste est complètement hors de notre portée. Ça donne le vertige, la nausée, mais c’est vrai : les gens qu’on aime vont prendre de mauvaises décisions. Ils vont « s’autosaboter ». Ils vont volontairement mettre leur cœur sur l’asphalte et accepter qu’un dix-roues-pas-de-freins passe dessus. Ça va arriver qu’on ne puisse rien y faire. Ça va arriver aussi qu’on soit au volant du dix-roues-pas-de-freins.
Il faut accepter qu’on leur fasse parfois du mal en voulant juste leur bien.
AA ♥