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Je suis la fille qui boit

Je suis saoule, je suis saoule, je suis saoule. Je joue pas à faire un pastiche de Gilles Valiquette là, je parle d’un problème. Je ne me considère pas comme une alcoolique, ce serait trop diminuer le problème de cirrhosés, je ne me considère pas non plus comme une buveuse compulsive. Vous allez dire, ben y’en a pas de problème, vous ferez des Christiane Charrette de vous-mêmes qui, lors de son passage à C’est juste de la TV, critiquait une publicité d’Éduc-Alcool en la traitant de moralisatrice et d’infantilisante, et vous aurez raison.

Je crois pourtant avoir un problème avec ma consommation d’alcool (parfois plus intense), je crois que les inhibitions qu’elle débloque chez moi, tout comme parfois le font les drogues, me poussent à devenir un peu, une mauvaise personne.

J’essaie de me limiter depuis quelques semaines. C’est drôle, y’a des jours où on le sent que l’alcool passera pas, ces jours-là j’essaie de ne pas (trop) plier devant les insistances de certains amis. Sûr que oui, y’a de la pression pour boire dans nos cercles. Je la ressens depuis que je veux consommer moins. Les excuses comme « Je le feel pas à soir » (excuse honnête) passent toujours mieux que « J’ai pas une cenne » (excuse qui d’ailleurs, se fait toujours écarter par des amis ben « ouèllings » qui te proposent de te la payer ta bière). ENWWOOYYEEE! Ok, je la bois, je l’ai de prise dans la gorge, mais je la bois.

C’est ce qu’on appelle une atmosphère de sortie pas intéressante.

Je veux boire moins parce que oui, quand je suis dans un mood de party, quand je travaille pas le lendemain (mais ça c’est relatif), quand je suis avec des amis avec qui ça « fitte » ce soir-là, quand je sors avec des gens que je connais moyen pis que je me dis : « M’a bouare pour me dégêner », je finis tout l’temps, ou assez souvent, désagréable. Le hic, c’est que le lendemain, je m’en rappelle plus, ou que par bribes, ou à force d’entendre des commentaires sur la soirée, celle-ci se reconstruit comme un casse-tête.

La fois où t’a chié dans rue à Paris. La fois où tu voulais ouvrir une bouteille de vin pis que tu l’as cassée sul’mur. La fois où tu t’es réveillée en pensant que tes dents de sagesse poussaient mais non, t’avais juste foncé dans l’mur. La fois où t’as cassé un verre en le serrant dans ta main (ouais c’est récurrent) pis qu’on pensait tous qui fallait t’amener à l’hôpital. La fois qu’on t’a mis dans un taxi à 21 h parce que t’étais déjà saoule. La fois que t’as couché avec un osti de gars « laite » pis tannant de 40 ans. La fois où t’as brisé le peu d’estime de soi d’un gars gros pis pas d’avenir full full. La fois où t’as vomi partout sur ton plancher de chambre en attendant ton chum de l’époque pis que tu te rappelais de l’avoir ramassé avant qu’il arrive, mais non. La (les) fois où t’as envoyé des textos (passifs)-agressifs à tes ex. La fois où t’as envoyé des photos de tes seins, de ton cul pis de tes hanches à un gars que tu connaissais pas vraiment. La fois où t’as manqué de respect à ton chum, dans un bar, devant ses amis, pis que ça a ébranlé votre couple.

T’sais. Pis là tu t’en rappelles pas…

C’est pas vraiment mon idéal je pense. Y’a des trucs qui sont moins graves c’est sûr, y’en a d’autres qui sont dommageables pis qui font mal. Je ne crois pas pouvoir « dealer » tout le temps avec la face cachée de mon crâne. Ces moments où je suis loin, où je suis peut‑être encore moi, mais vraiment intoxiquée et au fond du baril d’ivresse, je ne les comprends pas. Je veux essayer d’arrêter de les provoquer, parce qu’ils sont toxiques (ben oui) pour mon corps comme pour mes (les) sentiments envers les/des gens autour de moi. Je veux juste faire attention. Mais oui, j’ai besoin d’aide.

*

Depuis quelques temps, sur les réseaux sociaux, la mode est à l’étalage de la culture de la drunk girl, de la fucking sad drunk and melancolic girl, de la criss de fille qui boit parce qu’au fond c’est le seul moyen de vivre dans un monde qui veut pas lui donner l’amour, la job, l’amitié pis etc.

Source

J’ai déjà ri de ça. Je me surprends encore parfois à sourire puis je me dis, rire de ce tabou‑là, de la fille qui boit (ça pourrait aussi être le gars t’sais), ben je me dis qu’on dirait que ça fait juste le renforcer. Les filles voudront s’identifier à Amy Schumer qui boit une osti de grosse coupe de vin (vino), à l’enfant qui fait rire la planète dans le gif où elle boit à la bouteille avec écrit en Cambria dessus : Hard day! Mais on souhaite moins être associé à la fille qui chie sa vie sur la bol pendant un party où elle est complètement déshydratée, où à celle qui se ramasse à « quekpart » où y’a des ostis de gens capables de faire des jokes de même.

Source

Rire de la drunk girl cool qui boit mais qui se contient ok. Peut-être. Moi je trouve pas ça si drôle mais ok. Rire de la drunk girl déchue, je sais pas. La ligne est mince entre les deux. Faudrait plus en parler sérieusement qu’en rire, je pense.

Crédits photo de couverture : dessin de l’artiste montréalaise Julie Descamps

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