Les régimes. Nommez-en un, et il y a fort à parier que je l’ai essayé. J’ai fait mon premier à neuf ans. C’était une méthode qui se voulait une imitation de Weight Watchers avec un nom qui rendrait fier un maniaque de la Loi 101. Les pesées se déroulaient dans un sous-sol d’église puant, et il fallait payer lorsqu’on avait pris une livre. Pour la première fois, j’ai fait connaissance avec la culpabilité associée à la nourriture, et je lutte encore pour m’en défaire vingt-cinq ans plus tard. Il est où le plaisir de manger lorsque tu maigris en suivant « Surveillez votre poids »? Aujourd’hui, lorsque ma belle-mère me parle de ce qu’a fait ce « régime » pour elle, je pince les lèvres comme une enfant difficile devant une purée de brocoli, et j’attends respectueusement que le sujet soit vidé.
À quinze ans, j’ai arrêté de manger, juste comme ça. Ma diète était composée de vomissements, de laxatifs et d’eau, parfois. Les deux doigts dans le fond de la gorge au-dessus de la cuvette de toilette, j’ai appris qu’on pouvait vomir silencieusement. J’ai aussi appris qu’à 103 livres avec les joues creuses, les cheveux ternes et les yeux morts, j’étais laide. Pour me guérir, mon père a pris les grands moyens : il m’a envoyée chez Stéphane.
Stef est mon grand frère, né du premier mariage de mon père. Sa mère est morte lorsqu’il avait six ans avec le reste de sa famille; seuls mon père et lui ont survécu à l’impact de leur voiture avec celle d’un chauffard ivre. Je ne sais pas s’il connaît le sens du mot « résilience », mais il en est un bel exemple. Il est le roc solide de la fratrie : celui qui sait être logique quand la situation est chaotique, celui capable d’orchestrer des funérailles impeccables en deux jours ou de sortir sa sœur de l’anorexie en une semaine. Il reviendra souvent dans mes articles puisque j’ai pour mon aîné beaucoup d’admiration.
Lorsque j’ai commencé à travailler à temps plein entre le secondaire et le cégep, je suis tombée sur les Centres de Santé Minceur avec leurs mélanges toujours verts et visqueux qui goûtent aussi mauvais que l’odeur infecte des flatulences qu’ils provoquaient. Je ne sais plus combien de centaines de dollars j’ai données à cette compagnie pour des cures ou des soins de pressothérapie.
Mais mon préféré (insérez ici un ton sarcastique), ce fut Ideal Protein. Soixante-dix-neuf livres que j’ai perdues en le suivant. Ça et trois mille dollars de produits. Les filles – et les gars – si votre repas se trouve dans un sachet de poudre attendant d’être réhydraté et que vous n’êtes pas dans l’armée, ne touchez pas à ça! Rien de bon ne peut survenir lorsque vous arrêterez. Chutes de cheveux, reprise spectaculaire du poids et dépression : j’espère que c’est assez pour vous faire fuir en courant la jolie silhouette verte sur la boîte de barres hyper protéinées. De toute manière, le supposé « docteur » du DVD d’introduction est vraiment mortellement ennuyeux.
J’anticipais beaucoup ma rencontre avec la nutritionniste. Le questionnaire sur mes habitudes alimentaires m’avait déjà passablement découragée quand je pensais à toutes ces choses inconnues que je devrais manger. J’ai déjà été plus « gueule fine » que je ne le suis. Lors de ma dernière tentative de perte de poids, je l’avais fait sainement sans supplément ou trop de privation, mais l’extrême précision des menus m’étouffait. Heureusement, cette méthode m’a ouvert l’esprit et dégourdi les papilles sur plusieurs plats très appétissants qui changent du viande-patates-navets-carottes et des soupes au chou sans goût même si on y vide une salière. À ma grande surprise, elle a surtout composé un menu autour de ce que je mangeais déjà.
Jusqu’ici, j’ai surtout fait de tout petits changements. J’ai remplacé toutes mes boissons gazeuses par de l’eau et, au lieu de compter les calories à l’unité près, je m’alimente selon l’assiette santé. Approche développée par des chercheurs de l’Université Harvard, celle-ci tendrait à remplacer le guide alimentaire canadien que j’ai reçu à chaque rentrée scolaire de ma fille.
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Beaucoup plus facile à suivre qu’un arc-en-ciel avec des chiffres imprécis, n’est-ce pas? Prenez votre assiette, remplissez-en la moitié de légumes, ajoutez une portion de viande ou de substitut de la taille de votre poing fermé, et couronnez le tout d’une portion raisonnable de bons féculents. Aucune raison de faire des mauvais choix. « C’est bien trop beau », me suis-je dit. Je dois quand même calculer mes calories, mais c’est l’approche la moins maniaque que j’ai connue.
Mon métabolisme de base a été estimé à 1 600 calories. Une notion importante ici, c’est que ce nombre est la quantité de calories minimale qu’il faut au corps pour rester en vie. Garder le corps à 37 degrés, faire fonctionner le cerveau, donner l’énergie à son cœur pour pomper le sang, c’est ce qu’il faut à l’organisme. Pas moins, sinon le système se met en mode famine, et il ira puiser son énergie dans les muscles pour la transformer en graisse. Contre-productif, n’est-ce pas? C’est une erreur que plusieurs font pour stimuler le processus en ignorant que ça le retarde. Afin de calculer le nombre de calories nécessaires pour vaquer à ses occupations, selon qu’on s’active peu ou énormément dans une journée, il faut multiplier le métabolisme de base par un certain pourcentage qui varie. Vaut mieux demander à un expert de faire le calcul pour nous et de nous expliquer par la suite : on ne joue pas avec son corps n’importe comment, les conséquences sont trop graves.
Manger en quantité insuffisante expose à des rages incontrôlables de s’empiffrer et emmène comme premier symptôme une fatigue importante. Comment s’entraîner lorsqu’on est épuisé? En d’autres mots, lorsqu’il s’agit de manger, trop peu, c’est aussi nocif que trop trop.
Les premiers jours, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’étais si fatiguée. Ma nutritionniste a alors constaté que je n’avais pas tous mes apports caloriques. J’avais beau me sentir « pleine » et rassasiée, il en manquait deux à trois cents pour arriver au compte de 1 750. En ajoutant des collations entre les repas, j’ai pu rapidement corriger le tir, et je me sens beaucoup plus en forme, ce qui ne m’était pas souvent arrivé dans les dernières années.
Le meilleur, c’est qu’en me restreignant à une fois par semaine, j’ai pu garder ma tartine au Nutella. Pas d’excès, par contre, une cuillère à soupe contient 100 calories et beaucoup de gras. Mais de savoir que j’ai rendez-vous avec ma tricherie m’aide à tenir le coup et à trouver l’effort moins « trop ». J’ai eu droit à une liste de plusieurs choix sains qui comblent ma dent très sucrée. Éventuellement, je trouverai une recette plus saine que celle de Ferrero pleine d’huile de palme, mais le sevrage se fait plus facilement.