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Semaine 1 : Mise à nu

La première chose que l’on apprend lorsque les émotions qu’on mange commencent à s’incruster dans notre corps, c’est à se cacher. L’ordre du processus peut varier, mais les habiletés de cachette apparaissent invariablement à mesure que le temps passe. On se cache pour manger ce chocolat qu’on s’interdit et qui nous appelle si fort qu’on rage. On se cache de la culpabilité qui nous submerge après avoir succombé. On se cache sous des vêtements amples qu’on emplit de plus en plus. On cache la balance loin dans le fond de la garde-robe, et on en vient à ne plus se voir.

Ce soir-là, dans le bureau d’une kinésiologue qui contient moins de gras qu’un sous-marin Subway, j’ai vu une image que je n’ai pas aimée, une chute de haut, même si en bas j’ai plusieurs couches de poignées d’amour pour amortir le choc. Si nous étions dans une émission de téléréalité, c’est là qu’on me verrait pleurer en soutien-gorge de sport avec un gros plan progressif sur mon buste, afin qu’on voie d’abord toute l’ampleur de ce que je me suis infligé.

Je pèse deux cent quatre-vingt-huit livres. Un autre habile subterfuge pour ne pas affronter la réalité : 288, trois petits chiffres qui cognent plus que lorsqu’on l’écrit en toutes lettres. Aussi violent que soit le chiffre, rien ne l’est davantage que celui qui va suivre. J’ai 156 livres de masse grasse sur le corps. À la fin du processus, je pourrai en garder seulement 40. Quarante, c’est le poids que j’ai perdu lors de mon dernier essai, et ça donne une bonne idée de ce qui m’attend. La bonne nouvelle, c’est que j’ai 74,5 de masse musculo-squelettique-peau pour la moitié de muscle uniquement.

Le chiffre m’a surprise. « Normal, m’a répondu ma kiné, quand tu pèses 288 livres, il faut que tu développes le muscle nécessaire pour le porter. Donc, c’est pour ça que les super obèses dans les émissions sont capables de pousser pratiquement 800 livres avec leurs jambes, mais qu’ils s’épuisent à aller chercher de l’eau. »

Je m’excuse auprès de ceux qui n’aiment pas les chiffres. Vous pouvez aller vous chercher une galette de riz pendant que j’en dévoile un autre. Je mesure 1,63 mètre. Mes hanches, quant à elles, font 1,39 mètre. Il en manque 0,24 pour que je sois aussi large que haute. C’est aussi ridicule de tenter de me cacher que de dissimuler un éléphant dans un champ de fraises. Pourtant, j’ai essayé très fort, sous différents masques, jusqu’à en oublier qui j’étais, jusqu’à devenir la fille grosse et drôle, l’amie qu’on ne voit pas ou juste quand on n’a rien de mieux à faire que se faire divertir par elle. Fin de la phase énumérative de nombres.

Comme si la nomenclature de mon surpoids n’avait pas été assez humiliante, j’ai dû faire face à une pince plus inconfortable encore que ne l’est le spéculum. Même si j’avais réussi à me garder une contenance quand il a fallu me tortiller comme Elvis Presley sur Jailhouse Rock pour entrer dans un jean qui me fait un muffin top format familial dans une cabine pour remplacer celui qui a fendu à cause de mes grosses cuisses, je me suis décomposée assez vite quand ma future entraîneuse m’a agrippé un bourrelet pour le presser comme un sein lors d’une mammographie.

Pas de chiffre ici, je ne m’en souviens plus. Il existe chez chacun un moment où l’esprit s’éteint pour protéger la psyché de l’individu. Chez moi, ce fut à cet instant.

Pour bien illustrer le processus, j’ai tenu à le faire à l’aide d’une photo, moi qui déteste être ailleurs que derrière l’appareil. « Tu n’es pas obligée de le faire, » m’a rassurée l’ami qui tenait l’objectif. Je n’aurais jamais pu le faire, si je n’avais pas eu pleine confiance en lui, mais j’ai continué. Plus question de me cacher, même derrière l’anonymat d’un clavier.

Je veux plus que des chiffres pour me ramener à mes objectifs. Il faut des mots, des mots puissants. Ou encore des images qui saisissent, car si une image vaut mille mots et que celle qui suivra frappe fort, elle me tiendra lieu de conclusion pour cette semaine.

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