C’était un froid vendredi soir de janvier. Un vendredi soir où t’as rien de prévu, pis qui est déjà rendu 18 h 30. Un soir où t’appelles tous les amis que tu peux en espérant un imprévu, une découverte, une histoire à raconter. Ce vendredi-là, j’les ai eus, mon histoire à raconter, pis ma découverte, pis mon imprévu. Je suis allée voir un show de musique dans le Vieux-Québec. C’était un show des Avalés.
Ce soir-là, j’ai vu quelque chose de spécial. Quelque chose de différent. J’ai vu un groupe de musique uni par la saveur et la couleur des mots, uni par un même message, un même cri du cœur.
Quand ils ont commencé à jouer, tout le monde s’est tu, pas par politesse. Ça arrive souvent que le monde parle, dans les shows. Tout le monde a arrêté de parler, parce que ce groupe-là le rejoignait. Parce que quand t’es dans la même salle que ce groupe-là, c’est comme si t’étais devant un ami qui te souffle : « Hey, toi. T’sais, j’te comprends de pas savoir, des fois. De pas savoir tout court. J’te tends la main. À toi de voir si tu la prends ou pas. » Tu te sens compris. Ça fait du bien.
Alors en sortant du café où avait eu lieu le show, je me suis dit que j’allais les contacter pour savoir, moi aussi. J’avais décidé de prendre la main qu’ils m’avaient tendue. C’est ce que j’ai fait.
Pis j’ai bien fait, parce que ce groupe-là est plein de trésors. J’pourrais même pas vous les décrire parfaitement. T’sais, c’est comme un dessin. La première fois, c’est superbe. Mais quand t’essaies de le reproduire, c’est jamais aussi beau. Alors je vais légèrement écarter mes mains pour vous laisser voir les trésors, un peu comme je le ferais pour vous montrer un papillon doré caché au creux de mes paumes.
« Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. »
L’Avalée des avalés, Réjean Ducharme
Ça a commencé comme ça, avec Réjean Ducharme et son œuvre L’Avalée des avalés, avec des gars qui cherchaient un moyen de s’exprimer, un moyen de parler de ce qu’ils constataient, un moyen de se comprendre.
Parce que ces gars-là avaient une façon de voir les choses très différente. Ils remarquaient la solitude et la petitesse de l’être humain. Ils rapportaient les plus petits évènements aux plus grandes réalités de la société.
Ils avaient trouvé un moyen de transmettre la confusion et l’indifférence de la société postmoderne : dans chacune de leurs chansons, ils créent des sons qui nous transmettent une confusion, qui nous font remarquer des contradictions. Pourquoi? Parce que, selon eux, cela fait un parfait portrait de la réalité de nos jours. Ça nous embrouille, ça nous mélange, ça nous tire de tous les côtés.
Ils ont même mis au monde un personnage : Jean-Denis. Jean-Denis est un homme sur l’aide sociale, et c’est une image qui, selon Les Avalés, nous représente tous. Non pas pour son statut, mais pour sa façon de voir les choses. Ce gars-là, il se dit que peu importe s’il travaille ou non, il ne sera pas plus ou moins heureux. La seule différence, c’est qu’au lieu de courir après le temps comme les travailleurs, il marche. Jean-Denis, il se dit que ça ne sert à rien de toujours essayer d’être le premier arrivé, parce que le bonheur, c’est pas comme une ligne d’arrivée à la fin d’un marathon. On n’a pas besoin d’essayer d’être comme tous les autres pour avoir un trophée à montrer à tout le monde.
Chaque spectacle, Les Avalés s’adressent à nous comme si on était Jean-Denis pour mieux pouvoir nous tendre la main.
Aujourd’hui, ces gars-là nous parlent d’individualisme, d’impuissance, d’ennui, de confort et de narcissisme à grands coups de « je » et de « tu » pour qu’on comprenne que la scène ne crée pas une coupure entre eux et les gens qui les écoutent.
« Les Avalés est un projet collectif de rock expérimental pour tous ceux possédant toujours le courage de ne pas se laisser porter par le courant. Si t’es blasé, cynique, insatisfait et malheureux, il faut que tu saches que tu n’es pas le seul. Tu n’es pas le seul qui soit seul. »
C’est beau, hein?
Je les remercie d’être si différents, de nous faire goûter une tranche de leurs belles pensées.
Vous aurez la chance de les voir en spectacle au Café Wazo le 6 mars à 20 h avec Baril-Bourque et Skanja!
Pour l’instant, je vous invite à les suivre sur Facebook ICI et sur Bandcamp ICI (il y a même un album de 11 chansons qui s’en vient bientôt; on a hâte!)