8h30. Je cours prendre l’autobus, direction métro Angrignon. Comme d’habitude, je suis en avance parce que j’oublie toujours l’horaire. Je m’assois sur le banc et j’attends tranquillement. Je fouille dans ma sacoche. Fuck. J’ai laissé mon cellulaire sur la table de cuisine. Nooooooon! Pas le temps de retourner chez moi. Les autres passagers arrivent. Tout le monde a des écouteurs dans les oreilles, même la maman qui traîne son bébé dans un carrosse (j’ai vérifié si le petit en avait aussi). Je me sens vraiment comme un extraterrestre sans son vaisseau. Je comprends maintenant mieux le film Seul au monde. J’aimerais bien avoir un ballon de volley-ball qui s’appelle Wilson pour lui parler, mais l’autobus fait son apparition. J’embarque et je laisse trois piastres dans la machine. J’ai pas de carte Opus parce que je suis trop lâche pour la renouveler. Je m’écrase sur un banc entre un métalleux pis un skateux. À travers leurs écouteurs cheap, je suis pognée pour écouter du Blink Sabbath. Je ferme les yeux jusqu’au terminus. 10 minutes plus tard, je sors.
Il y a des personnes qui me demandent si je veux un journal gratuit. J’ai toujours pensé qu’il fallait le payer, t’sais, j’entendais jamais ce qu’ils disaient à cause du volume trop fort dans mes tympans. J’en prends un. Je glisse mon ticket dans la machine et prends l’escalier roulant en me faisant bousculer par des pressés. Je veux tous les tuer. Les gens ne comprennent pas que des wagons, il y en a aux trois minutes, fait que calmez vos nerfs jusqu’en bas pis attendez votre tour. Je prends une respiration. Je m’assois par terre, tant pis pour la propreté. De toute façon, je me dis qu’en sortant tantôt, il va falloir que je pousse la porte avec mes mains so je vais juste être plus crottée.
Le petit coup de vent habituel m’indique qu’il faut déjà que je me relève, moi qui étais si bien. Les portes s’ouvrent, je rentre et m’assois sur le bord de la fenêtre. J’observe le peuple. Encore une fois, je suis l’intrus de la gang. J’ouvre mon journal gratos, je le feuillette, encore des nouvelles de marde. Fuck off. J’ai décidé v’là un mois de prendre un break d’actualités pour cause de dégradation de foi en l’humanité. J’ai même pensé il y a quelques jours que je pourrais me faire retirer mes trompes de Fallope pour être certaine de ne pas procréer. Je n’ai pas envie que mes futurs enfants subissent les joies de la guerre, des coupes budgétaires, des maladies, de la violence ou pire, qu’ils deviennent politiciens. Fait que, je referme le contenu et j’le mets à côté de moi. Too bad.
Prochaine station, Monk. En moins de deux secondes, je me retrouve entourée de nouveaux visages, les yeux rivés sur leur gadget. Je pourrais crier des niaiseries et je pense que personne ne réagirait. Je suis définitivement la dernière ici qui peut encore avoir contact avec le monde extérieur. C’est beaucoup trop de responsabilités sur les épaules d’une petite fille comme moi. Imaginez qu’une alarme sonne pour passer une annonce urgente de catastrophe radioactive ou bien d’épidémie grave qui s’attrape dans l’air. C’est moi qui vais devoir prendre les devants pour secouer tout ce petit monde trop concentré et les convaincre qu’il faut qu’on dégage right now. J’espère qu’ils ne s’attendent pas à ce que je les sauve parce que c’est certain qu’on me retrouve en position fœtale perdue dans le fond du tunnel. Tant pis pour eux. Prochaine station, Jolicoeur. Le wagon commence à se remplir. Un gars ayant à peu près mon âge s’assoit sur mon journal. Il est cute. Je l’observe grâce au reflet de la vitre (le truc pratique pour regarder subtilement les beaux messieurs). Oh mon doux seigneur, pas de trace de tablette, iPhone, écouteurs, Android, walkie-talkie, padgette, bluetooth, agenda électronique, walkman ou même de dactylo à sa portée. Nous sommes maintenant deux pour sauver le monde. Je me dois de lui parler.
– « Salut, toi aussi t’as oublié ta vie chez toi?» – « Hein?» – «Ben c’est que c’est rare par ici l’monde qui n’écoute pas de musique.»
– « Ah non. Pu de batterie.»
Il jette ensuite un coup d’oeil rapide autour de lui. Effectivement, il appuie ma remarque. Une madame me fixe. Je m’essuie avec ma manche, j’avais peut-être quelque chose dans la face. Elle a vraiment l’air bête. En fait, E-V-E-R-Y-B-O-D-Y a cet air-là. Bout de viarge. On dirait qu’on s’en va dans les profondeurs des ténèbres. Le wagon de l’enfer. C’est pas compliqué, on pourrait presque faire un concours de la meilleure face de boeuf de la ligne verte 2015. On pourrait appeler le prix «le trophée Jean-Luc Mongrain». Malheureusement, j’ai dit ça haut et fort. L’avantage c’est qu’il y a juste mon voisin de banc qui m’a entendue. Il me trouve drôle, il rit. On commence à jaser, comme ça, de tout et de rien. Pour une fois dans ma vie, je remercie mon manque d’attention de m’avoir fait comprendre que, c’est pas si grave quand j’oublie mon cellulaire, c’est bien plus l’fun parler à quelqu’un de nowhere. Prochaine station, Berri-UQAM.
– «Bon et bien, je dois y aller.» – «Hum, je pourrais te donner mon numéro si tu veux.» – «Oui, t’as un stylo pour le noter?» – «Non, toi?»
– «Non.»
Fuck.
Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com