« Sois honnête, j’ai tu grossi tant que ça? »
« Ouais, mais ça te fais bien quand même »
« Genre, j’suis une chick’s chubby ? »
« Une chick’s avec des p’tits bourrelets d’amour mettons »
C’est vrai. J’ai grossi. Ma mère a raison. J’me suis lâché lousse sur la bière depuis la vie d’appartement et j’ai beau me débarrasser des corps morts, le dioxyde de carbone et le houblon ne s’en vont pas aussi facilement que le recyclage le jeudi matin. Oh non. Ça s’accumule comme des intérêts sur des tickets de parking qu’on oublie de payer et ça s’entasse sans ta permission dans ton ventre, dans tes cuisses, dans tes hanches, dans tes bras, bref, partout où il y a de la place. Avec le temps, j’ai appris à tout camoufler. L’espionne russe c’est moi. Je me sens comme Julie Snyder qui se cache en dessous de ses robes ballounes, j’ai les connaissances de Jean Airoldi en matière de pantalon no-muffin-top, mes armes préférées sont les tuniques et les leggings et quand il est question de plage ou de spa, je disparais en coup de vent sous la cape d’indivisibilité empruntée à mon chummy Harry.
La semaine passée, chez mes parents, j’ai enfin décidé de me peser. Juste de même, parce que je m’en allais dans le bain et que la balance est à côté. J’angoisse. J’ai l’impression de faire partie de l’émission The biggest loser. 150 livres. 20 livres de plus. 20 livres de party coincé comme des confettis dans un gun prêt à m’exploser dans la face. Je me suis allongé dans l’eau chaude. J’ai constaté les dégâts. J’ai pris ça avec humour. Humains de la terre, faut savoir accepter nos rondeurs. J’ai fait un bonhomme avec ma graisse de bedaine et je l’ai fait parler: « hey ma cochonnette, t’es rendue gras double p’à peu près! T’es salement dû pour qu’on t’mange en slide de bacon, fait d’quoi! ».
J’ai écouté le bonhomme. Je suis allée m’inscrire au gym au coin de ma rue, histoire qu’on me troque pour le low fat. Le cauchemar de mes nuits, ma bête noire à running shoes, une corvée que j’aurais bien voulu glisser sous mon lit comme du vieux linge sale. Moi ce n’est pas des monstres que j’ai dans le placard, mais bien des coachs à moustache qui me crient après: « Plus vite! Plus vite!» Je déteste le sport. Je déteste suer. Je vais vous dire un secret les crépues, et gardez ça pour vous parce que c’est vraiment honteux: J’ai coulé mon cours d’éducation physique au secondaire. J’AI ÉCHOUÉ ÇA. J’AI SCRAPPÉ MON CHEMINEMENT SPORTIF. C’est aujourd’hui dans ma vie que je regrette de ne pas avoir été plus présente et plus motivée lorsqu’il fallait courir autour du fucking terrain de football le matin à 11° en short. C’est aujourd’hui que j’aurais eu besoin d’un billet de mon père où il écrivait que j’avais trop mal aux genoux pour participer au cours parce que sérieusement, le gym, j’en garde une mauvaise expérience.
Comme j’ai acheté l’abonnement d’un an, j’ai droit aux cours offerts gratuitement sur l’horaire qu’on m’avait remis quelques jours plus tôt. Boot camp, spinning, fesses d’enfer, zumba, entraînement militaire (plutôt me jeter en bas d’une falaise, ça sera moins douloureux), pilates, cardio, yoga. Yoga? Tiens, ça pourrait être pas pire du tout pour une vedge de mon niveau. Débuter en douceur, calmement avec de la petite musique zen. Vendu! Donc j’arrive à 16h50, vêtue d’un jogging gris et d’un chandail super lousse pour être confortable durant mes acrobaties. J’ai mis de l’eau dans mon thermos du film Annie. Je suis prête. J’attends que l’entraîneur commence le cours et je profite du temps de liberté qu’il me reste pour prendre des notes sur les personnes aux machines, au cas où je voudrais essayer un jour. J’ai peur. Les messieurs lâchent des grognements d’homo erectus. Si j’étais taxidermiste, j’en ramènerais un à la maison et je l’empaillerais, ça ferait peur aux voleurs et exposé près de ma bibliothèque, il aurait jamais été aussi près d’un livre. Ça coule de sueur, ça suinte de testostérone, ça se regarde dans les miroirs en poussant de la fonte, j’ai la toune de Jonathan Painchaud dans la tête, je sais pas pourquoi ça me faire rire. Plus loin il y a une madame sur un vélo qui pédale à la vitesse de la lumière, le visage en feu. Je suis persuadée que si on la plug avec les lignes d’hydro elle pourrait éclairer le Québec en entier juste en s’exerçant. Je détourne la tête, je vois deux filles qui parlent entre elles, vêtues d’un rien. Elles m’énervent, elles sont belles et musclées sans trop ni moins, juste parfait. Pas comme Serena Williams. Je suis jalouse. Je voudrais leur ressembler, mais en même temps j’ai le sentiment que c’est ces filles-là, t’sais, les gossantes sur Facebook qui pourrissent les fils d’actualités de l’univers d’abominations du style: «gym gym gym, on s’prépare pour l’été», « crossfit c’est la vie», «no excuses train hard –à gym». Duh.
La porte de la salle s’ouvre, un homme grand et mince, élastique même, nous accueille avec un grand sourire chaleureux qui me fait sentir plus à ma place. Je vais chercher un tapis bleu avec les autres. Le même style de tapis que j’aperçois fréquemment, dépassant des sacs à dos sur les gars barbus aux grosses lunettes rondes dans les rues de Montréal. La musique commence. Des sons de flûte. J’aime ça, c’est comme si j’flottais sur du bambou. Respirez, expirez. Entre la chandelle, la table et la levée de jambes, j’acquiers de la confiance. Plus le temps avance et plus j’ai l’feeling que j’pogne la twist, j’ai même l’impression que les regards sont sur moi. Les murs de la salle sont vitrés, je remarque les messieurs à gros bras me regarder à leur tour, la tête à l’envers. Ils me sourient, mon voisin de derrière aussi. Wow, je dois être pas pire pantoute, si ça continue d’ici quelques semaines on va me retrouver sur Instagram, sur un selfie, garnie d’un jus vert à la main. Il reste 10 minutes au cours. En position du pont, je réalise subitement, brutalement, tel un coup de poing su’a gueule, les joues brûlantes de gêne, la raison qui me valait tant d’attention: J’ai oublié de mettre une camisole sous ce chandail trop grand pour rester en place sur mon corps. J’ai offert mes seins à travers cette brassière d’un tissu presque transparent à tous.
Mon humiliation me coûte 23,85 $ par mois jusqu’en octobre prochain.
Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com