C’est samedi soir et j’ai mal au cul. Mais j’ai pas mal au cul parce que c’est samedi soir et c’est pas samedi soir parce que j’ai mal au cul. Non. C’est samedi soir parce que c’est le show de Billy Joel sur les plaines et j’ai mal au cul parce que je suis assise sur une très foutument à-pic et bondée butte de gazon.
Et en plus d’avoir mal au cul, je suis vraiment, vraiment, vraiment fatiguée. C’fait que je me couche en boule sur mon côté gauche et j’appuie ma tête sur la cuisse droite d’Hubert. Je lui écrase un peu la couille et une canette de Molson Dry me rentre dans le dos, mais c’est pas grave, je suis quand même bien. Et je commence à relaxer. Mes yeux se ferment. Je m’endors.
Jusqu’à ce que « Don’t ask me why » résonne dans les oreilles d’Hubert et qu’il crie dans les miennes :
- « Hé dors pas, ça fait un mois que j’attends juste ça! »
C’est vrai. Ça faisait au moins un mois que la track two d’une cassette des Greatest Hits du piano man tournait en boucle dans la van du band. Et Hubert chantait chaque jour, au moins douze fois par jour, le plus souvent en se réveillant et quelques fois en se couchant :
All the waiters in your grand cafe
Leave their tables when you blink
Every dog must have his everyday
Every drunk must have his drink
Don’t wait for answers
Just take your chances
Don’t ask me why
Alors j’essaie d’ouvrir les yeux.
Fort.
Super fort.
Pour lui faire plaisir.
Mais, marche pas.
Trop fatiguée.
- « M’excuse Hubert, je suis pas capable »
- « Pas grave »
- « Tu m’aimes quand même? »
- « Non »
Ça veut dire oui.
Je m’abandonne donc à mon sommeil, évachée au milieu de vomis, de bières, de pisse et d’une centaine de milliers de personnes qui chantent « Uptown Girl » comme s’ils allaient mourir demain matin. Puis, au bout de presque trois heures et huit rappels, Billy Joel décide que c’est assez, que lui aussi, il doit aller se coucher. Hubert me réveille d’une caresse au visage. Il me regarde, sourit, dit rien. Je dis rien non plus. On se lève tous les deux et on se met en marche vers l’auto. Une heure et des milliards de corps à corps plus tard, on arrive dans le stationnement.
- « Hubert, ça me tente plus de marcher. »
- « Ben là, on est rendus! »
- « Je sais mais ça me tente plus, je suis fatiguée. »
Il marche vers moi, me dit « accroche-toi », et de toutes ses forces, il me prend dans ses bras. Hubert ouvre d’une main la portière du côté passager et me dépose doucement sur le banc. Il referme la portière, contourne la voiture et s’assoit du côté conducteur. Il démarre, part le chauffage, met David Bowie dans le fond. Moi, je m’endors.
Évidemment.
Puis, on arrive chez moi. Hubert met l’auto sur le park et l’éteint. Il me secoue un peu.
- « Réveille-toi, on est arrivés »
- « Adam Green il fait-tu du skate? »
- « Hein? »
- « Hubert, Adam Green il fait tu du skate? »
- « Hem, non je pense pas, non »
- « Parce qu’on pourrait lui en donner un »
- « Hein? Pourquoi? »
- « Rouge, pour sa fête »
C’est là qu’Hubert me secoue plus fort. Et c’est là que je me réveille.
Hubert sort de la voiture. Il ouvre ma portière, me prend dans ses bras, puis referme ma portière d’un coup de fesses. Il monte jusqu’à ma chambre, ouvre le lit d’une main et rabat les couvertures sur moi. M’embrasse dans le front, me souhaite bonne nuit.
Il est quatre heures du matin quand je me réveille. Hubert est couché à côté de moi. Je me rapproche de lui, mets ma tête sur son torse. Essaie de me rendormir, quand Hubert dit :
- « Toi pis moi on est indestructibles hein? »
Et il a soupiré.
Peut-être qu’il était réveillé.
Peut-être pas.
Peut-être que lui aussi, il parle en dormant.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a rien de plus vrai au monde que ce qu’on se dit tard la nuit.
Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com