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J’ai traversé la rue – Par Noémie

J’étais dans Limoilou et Limoilou dormait parce que c’était la nuit, qu’il était tard, pis l’heure de se coucher.

Moi, je buvais une tisane « bonne nuit » et je mangeais des chips Méli-Mélo dans l’appartement d’une amie qui fume la cigarette. Mais à minuit douze, ma tisane était froide, il restait plus que des bretzels dans le sac de chips et Miléna avait éteint le mégot de sa dernière cigarette. Alors à minuit treize, on s’est pris dans nos bras et on s’est souhaité des beaux rêves. J’ai fermé la porte derrière moi, j’ai fait peur aux grenouilles et j’ai marché jusqu’à l’arrêt d’autobus.

Dans la 800 direction Beauport/Boischatel, une madame expliquait à son mari, d’une manière très peu délicate faut dire, qu’elle ne recevrait plus de chèque de bien-être social. Qu’il devrait payer le loyer et l’électricité du mois prochain. Qu’elle s’occuperait peut-être de payer l’épicerie. Qu’ils vendraient la voiture. Qu’ils prendraient l’autobus et qu’ils se créeraient un compte conjoint dès demain. La madame avait pris soin de ponctuer son explication de plusieurs « TU COMPRENDS RIEN! », mimés par ses gros doigts pleins de vernis mauve, alors que le mari, lui, se contentait de souffler des petits « oui » de temps en temps. Et puis, quelque part entre l’hôpital et le terminus, un monsieur est entré dans l’autobus. Il s’est assis à droite du couple qui revoyait ses finances, sur le banc qui suivait celui du mari et au bout de trois minutes, il a demandé audit couple d’arrêter de parler. La madame, encore plus frustrée qu’au début, l’a traité de « bum », ce à quoi le « bum » a répondu « enlève les lunettes, j’te gèle tu’suite, ça t’tente tu? ». Puis, après une dizaine de « tayeules » et de « criss de folle », la madame a appelé le 911 et a décrit à la téléphoniste le « bum » qui, entre-temps, était devenu «  un psychopathe à queue de cheval ».

Et là, j’ai tiré sur le câble jaune.

L’autobus s’est arrêté. J’ai dit merci à la chauffeuse qui se rendait compte de rien sur une chanson d’Alex Nevsky. Je suis descendue et j’ai mis mon sac sur mon dos, mes mains dans mes poches, mon capuchon sur ma tête. J’ai marché la rue du Collège, longé le cimetière, passé par le parking de l’aréna. J’étais arrivée à l’escalier maudit aux 134 marches les plus glauques de l’univers. Je voyais d’en haut la trentaine de chats sur le toit du vieux motel abandonné d’en bas.

Vingt-trois secondes plus tard, j’enjambais la dernière marche. J’ai marché jusqu’à la dernière intersection qui me séparait de ma maison. J’ai appuyé sur le piéton parce que traverser le boulevard Ste-Anne c’est aussi dangereux que courir avec une paire de ciseaux dans les mains et un suçon dans la bouche, même la nuit.

Sur la rue d’en face, deux autres personnes attendaient le signal pour traverser. Un gars à gauche pour s’en aller à droite, et une fille à droite pour s’en aller à gauche. Les deux pour s’en aller l’un, vers l’autre. Ils se regardaient et sur leur visage, des sourires de gêne et de « bonjour ». La fille se balançait entre ses orteils et ses talons. Le gars passait la main droite dans ses cheveux, puis la gauche, puis la droite. Les voitures passaient entre eux et plus les voitures passaient, plus ils s’agitaient et plus ils s’agitaient plus les voitures passaient. Les phares éclairaient en stroboscope leur visage rosi par la tiédeur du vent ou les yeux de la personne en face. À un moment, la fille a pointé la lune. Le gars a suivi son doigt, a regardé la lune, puis l’a pointée elle. Elle a souri. Presqu’en même temps, un voiture avec les fenêtres grandes ouvertes est passée et a laissé s’échapper les airs de la chanson « Wonderwall ». Là-dessus, le gars a pouffé de rire. La fille s’est caché le visage de ses deux mains. Et puis, ils se sont regardés. Encore. Le gars a glissé sa main gauche dans la poche gauche de sa veste et en a sorti une petite boite blanche. Il a porté sa main sous la lumière du lampadaire, pour qu’elle puisse voir. La fille a ouvert la bouche très grand. Puis, de sa bourse, a sorti un sac en papier rouge.

Et là, les lumières sont devenues jaunes

Et puis, les lumières sont devenues rouges.

Les voitures se sont arrêtées.

Et le signal piéton s’est allumé.

Et le gars et la fille ont couru, de la gauche vers la droite et de la droite vers la gauche, boîte blanche et sac rouge derrière, pour se lancer l’un contre l’autre.

Pour se tomber dans les bras.

Et pour s’embrasser.

Sur la ligne jaune.

Et peu importe que les lumières virent vertes.

Parce que ça fait 1 an.

Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com

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