from-italy.com
Blog

Le James Dean de Vanier – Par Cristina

Chaque école a son prince-bandit, de Dany Zuko à John Tucker, un genre de beau gars populaire, mais juste assez edgy pour être reconnu de tous, enfin, de toutes les cliques. Pour l’importance que ça peut avoir, celui de la polyvalente de Sara s’appelait Francis Chabot, et il était beau comme James Dean.

Comme ton parfait crush d’adolescence, Francis était arrivé en octobre une fois l’année scolaire commencée parce qu’il s’était déjà fait suspendre de son école, pour ensuite être transféré à l’École secondaire Vanier. Même si la raison officielle était due à un taux d’absence non motivée trop élevé, deux histoires circulaient dans les corridors : il avait vendu du pot à l’école, ou il avait poignardé un gars en éduc pour se défendre. Son arrivée avait créé des remous. Aussitôt, les gars voulaient être vus en sa compagnie, s’accrocher à cette aura de glorieux bum mystérieux tant appréciée de la jeunesse. Puis, les filles, se faisant aller le cerveau reptilien en pleine puberté, se sont dépêchées d’élire dans leur cœur, et dans les pages coloriées au stylo-gel de leur agenda, le beau Francis comme étant le mâle alpha, le loup à apprivoiser, la saveur du moment à qui donner sa cerise quand le moment viendra.

Si James Dean s’était éteint en se tuant dans un beau char, Francis, lui, n’était pas rendu là. Il avait ce que les gars de son âge peuvent se permettre d’avoir, tout en ayant un respect presque égal de ses pairs que pour avoir un bolide sport; il avait un scooter. Un soir de veste sans mitaines ni foulard, James Dean de Vanier s’en alla au parc Bibiane-Robitaille, parce que c’était là que le monde se tenait pour fumer des cigarettes et des quantités ridiculement chiches de pot, pour mâcher de la gomme, cracher par terre et faire des graffitis cochons dans les jeux pour enfants. C’est souvent là qu’on apprenait qu’une telle était une slut et qu’on mettait son numéro de téléphone. Tout le monde se souviendrait encore aujourd’hui que « Carolanne Thibeault-Trudel suce des pinisses pour dix piasses ». Quand la gang présente entendit le moteur aigu du scooter à James Dean, tous ont eu cette même réaction de joie enfantine évanouie pour afficher un air de « coolitude » presque adulte, une nonchalance calculée pour prouver qu’on n’est pas impressionnable pour si peu. Mais quand même, l’effet s’était installé. Sara, comme les autres, tira une longue poffe de sa cigarette partagée et ne s’étouffa presque pas. James Dean freina si près d’elle qu’elle reçut de la gravelle entre ses jeans et son soulier.

– Salut, dit-il à travers son casque à toute la bande en cercle.

– Salut man, répondit la plupart des gars.

Les filles observaient, en silence, s’il était accepté socialement dans le groupe avant de le saluer.

– Salut toi! gloussa la slut à Carolanne.

À seize ans, elle pouvait se vanter de s’être fait un piercing dans une boule, pas sur le boute, mais dans le décolleté, et de s’être battue avec sa mère deux fois. Il était évident qu’elle et James Dean étaient du même monde. Des Sid and Nancy de banlieue.

– Salut, répondit James Dean.

Puis en s’adressant à Sara : « Salut! »

Sara leva les yeux, n’y croyant pas trop qu’il décidait de parler à ELLE et non pas à la grosse slut de Carolanne.

– En tout cas, poursuit-il à Sara, si t’as besoin d’un lift pour remonter chez vous, ça me dérange pas de te remonter. On reste dans la même rue.

Oh my God! se dit Sara. Elle savait très bien qu’ils restaient dans la même rue. Elle regardait toujours sa maison, en marchant le matin vers son arrêt d’autobus, en espérant l’apercevoir par une fenêtre ou sortir de chez lui au même moment. Peut-être qu’ils deviendraient des potes de trajet, qu’elle s’était dit, et peut-être plus… Oh non! Est-ce que ça voulait dire qu’il la voyait tous les matins étirer le cou en marchant, comme une tarte, à essayer de le voir? Ostie! Elle allait passer pour une perverse, une débile mentale! Fuck! Fuck! Fuck! Ok! Calme-toi crisse de conne, qu’elle se dit, s’il t’offre un lift, c’est parce qu’il doit trouver que t’es pas si folle que ça. Ah shit, peut-être que c’est pire : s’il SAIT que j’ai un kick dessus, peut-être qu’il va vouloir que je le suce pour son lift. Ciboire de fuck! Peut-être qu’il SAIT que j’ai branlé l’ami de mon frère pour qu’il vienne me chercher en char après un party à Stoneham? Non. NON. Impossible qu’il sache ça, il est nouveau. De toute façon Martin est au cégep, pourquoi il serait allé raconter ça? Ouais. Reste cool. Tout est beau. Astheure, réponds comme si tout était cool, esti d’épaisse.

– Ouin, si tu veux tantôt, répondit-elle pour le lift.

Carolanne lui décrocha un regard que seule une slut peut faire.

Comme ils étaient tous mineurs et pas évadés d’un centre d’accueil, le couvre-feu était relativement tôt, et c’est vers 22 h que James Dean demanda à Sara si elle était prête à rentrer. Elle lui répondit à l’affirmative. Il ajouta qu’il n’avait pas de deuxième casque, alors qu’elle n’aurait qu’à bien s’accrocher après lui et à ne pas le lâcher, et qu’il allait passer par les petites rues pour ne pas se faire pogner par la police. À Vanier, toutes les rues ne sont pas petites.

Le chemin du retour se passa comme les trajets motorisés se passent à l’adolescence : Sara faisait semblant de ne pas avoir peur quand son chauffeur allait trop vite. Elle se demandait si le coat en jeans gris trop grand de James Dean était assez épais pour ne pas absorber son battement de cœur à elle qui se faisait fort, d’émotions ou d’hormones. Un genre de peur qu’il se passe quelque chose ou, pire, qu’il ne se passe rien.

Le vent était froid, Sara le sentit dans son corps entier. Les cheveux dorés sortant du casque à James Dean lui caressaient la joue. Il ne lui est pas venu à l’esprit que peut-être que James Dean aurait dû, par galanterie, lui offrir son unique casque. À l’adolescence, la mort est un concept qu’on ne voit que bien au loin, et le danger est un néon rouge trop sexy. Ils arrivèrent devant chez Sara. Le moteur saccadé du scooter était le seul bruit dans la rue dormante. Sara débarqua. James Dean enleva son casque. Au-dessus d’eux, un lampadaire s’éteint. James Dean lui demanda dans un clin d’œil si elle attendait un signe de plus. Et c’est avec l’odeur de gaz que Sara et James Dean se donnèrent un baiser avec plein de bave, qui allait garder Sara éveillée, seule dans son lit toute la nuit, et lui laisser un doux souvenir quétaine de sa première idylle, toute sa vie.

Autres articles

« Les Beaubien Girls »

adrien

Donne-moi ton corps, j'ferai semblant de t'aimer

adrien

5 endroits où manger de délicieuses salades à Montréal

adrien

La p’tite remplaçable

adrien

créativité

adrien

Passion DiCaprio

adrien