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« On ne peut plus rien dire »! Petit guide anti-discrimination on ne peut plus rien direjudith lussier

« On n’peut plus rien dire. » Cette phrase, on l’a tous.tes entendue. Réponse classique de la personne shamée dans son discours discriminatoire. Parce que c’est plus facile de conclure que la société est soudainement opprimante pour les bons samaritains qui s’égosillent sur des sujets à rire comme l’homophobie, le sexisme ou le racisme. Quoi de plus drôle que l’oppression qui ne nous touche pas. Lol.

Judith Lussier, militante, animatrice, chroniqueuse et écrivaine, était de passage à Tout le monde en parle dimanche dernier (17 mars 2019). Elle a récemment écrit un essai sur la rectitude politique à l’ère numérique (On peut plus rien dire : le militantisme à l’ère des réseaux sociaux) et c’est ce sujet qui a été abordé durant l’entrevue.

Une constellation de termes est employée à l’ère numérique et la liste ci-dessous n’est manifestement pas exhaustive, mais Judith vulgarise le sujet en profondeur dans son essai. Dans le mouvement féministe, on recommande beaucoup aux personnes alliées de s’informer de façon autodidacte afin d’éviter de faire travailler bénévolement des féministes pour éduquer les alliées. Lire le lexique ici-bas est un pas dans cette direction, lire l’œuvre de Judith en est un plus grand.

J’aimerais toutefois pousser la réflexion vers le questionnement qui en habite beaucoup face aux cyberdiscussions sur les enjeux féministes et les autres formes d’oppression : quoi faire face à des propos intolérants sur les réseaux sociaux?

D’abord, certaines personnes ont tendance à retirer les publications qui suscitent des controverses. Le Journal de Montréal l’a notamment fait avec la couverture d’un incendie qui a détruit la maison d’une famille syrienne. Cela n’a pour seul effet d’effacer un symptôme d’une problématique beaucoup plus grande sans s’attaquer à celle-ci.

D’autres entités décident de modérer les discussions en retirant les commentaires haineux, par exemple dans un groupe Facebook. Cela exprime que ces publications sont inacceptables dans un espace donné, mais n’éduque pas les personnes concernées pour qu’elles comprennent en quoi leurs propos sont discriminatoires.

D’autres vont plutôt dénoncer les commentaires haineux en les contredisant. Cela exprime que ces publications sont inacceptables, mais exige de l’énergie et du temps de la part des personnes qui prennent parole, qui lorsqu’elles sont directement attaquées par les propos discriminatoires, s’en voient plus grandement affectées. Cette option est donc davantage encouragée pour les personnes alliées, qui peuvent porter la voix des personnes opprimées sans la charge émotive, mais avec les privilèges du groupe dominant.

Enfin, et j’adore cette stratégie parce qu’elle est tournée vers le positif et permet d’éviter les confrontations, certaines personnes vont contrebalancer les commentaires haineux en écrivant des commentaires élogieux sur le groupe ou l’individu opprimé.

Et pour les gens qui disent qu’on ne peut plus rire, ben mon entourage sait que j’ai le rire ben facile tout en ayant le militantisme sensible. Pour moi, l’autodérision est mon humour préféré, ensuite l’humour sur les classes dominantes.

Ma joke préférée de 2018? Répondre aux gens qui disent qu’ils respectent « le choix » des personnes non hétérosexuelles que « ce n’est pas un choix, parce que si ça l’était, tout le monde serait gai! » Et ma joke préférée de 2017? Répondre aux gens qui demandent qui fait le gars dans une relation lesbienne que « le concept d’être lesbienne, c’est justement qu’il n’y a pas de gars! ».

Alors, la prochaine fois que tu entends le fameux cri du cœur de la part des victimes de la rectitude politique, le fameux « On n’peut plus rien dire! », tu sais quoi faire!

***

Parce que le Web est un milieu de foisonnement du vocabulaire plus ou moins obscur, voici un petit lexique des termes employés par les personnes militantes (PM) et par les personnes conservatrices (PC), par thèmes. Les sources inspirant les définitions sont l’entrevue de Judith Lussier, Wikipédia et Urban Dictionary. Ces deux dernières sources ne sont pas fiables pour un mémoire de maîtrise, mais très pertinentes pour une analyse de l’usage courant de certains mots.

D’abord, les PM et les PC s’attribuent mutuellement des étiquettes jugées péjorativement. Pour une personne masculiniste, le terme « Social Justice Warrior » (souvent abrégé, « sjw ») est autant une insulte que le terme « masculiniste » pour une SJW. « Feminazi » est une coche au-dessus. L’opposé serait à mon avis le terme « mysogyne ».

Social Justice Warrior (guerrier.ère de la justice sociale) : personne qui milite contre les iniquités sociales (sexisme, racisme, classisme, homo/biphobie, transphobie, capacitisme, etc.).

  • Ex. : une personne qui répond avec ardeur aux commentaires discriminatoires sous le partage d’un article controversé sur Facebook peut être qualifiée de Social Justice Warrior.

 Feminazi : personne perçue comme une féministe radicale souhaitant la domination des femmes sur les hommes.

  • Ex. : une femme qui dit que les hommes ne devraient représenter que 10 % de la population, à de strictes fins de reproduction, peut être qualifiée de feminazi.

Masculiniste :

(1, par les PM) : personne qui justifie des iniquités entre les hommes et les femmes.

  • Ex. : une personne qui dit que l’époque actuelle est effrayante pour les hommes qui risquent d’être accusés de viol sans fondement peut être qualifiée de masculiniste.

(2, par les personnes qui manquent de connaissance du féminisme et/ou par les PC) : personne militant pour les droits des hommes et la condition masculine.

  • Ex. : une personne qui ramasse des fonds au Movember pour la prévention du suicide chez les hommes peut se proclamer masculiniste (2).

Passons maintenant aux reproches sur la façon de négocier.

Mansplaining (mecsplication [France], pénisplication [Québec]) :

(1) explication de la part d’un homme, généralement à l’intention d’une femme ou d’une personne non binaire, d’un phénomène que la personne interlocutrice connait déjà, possiblement sur un ton paternaliste ou condescendant.

  • Ex. : un homme sans qualification particulière pour le patin à roues alignées qui conseille à une femme qu’il voit patiner dans la rue de ne pas patiner dans les côtes peut être accusé de mansplaining.

(2) suggestion plus ou moins forte de la part d’un homme, généralement à l’intention d’une femme ou d’une personne non binaire, d’action à prendre ou de pensée à adopter sur un sujet qui concerne plus la personne interlocutrice que l’homme.

  • Ex. : un homme qui dit à une personne féministe que le mansplaining n’est pas un enjeu valable et qu’il y a des combats plus importants à mener avant de critiquer le mansplaining peut être accusé de mansplaining.

Tone policing (police du ton) : dévalorisation d’un argument à cause de son ton ou de la façon avec laquelle il a été émis, souvent émis par une PC envers une PM.

Ensuite, parce qu’il ne suffit pas de se proclamer « tolérant.e » des communautés opprimées pour plaire à une PM, voici des termes utilisés par les PM pour critiquer certaines formes de « progressisme ».

Pinkwashing (rosissement, inspiré de blanchiment) : mise de l’avant, par des entreprises, de la tolérance envers les communautés LGBTQ+ comme stratégie de marketing.

Homonationalisme : ouverture à l’homosexualité comme supériorité morale alors que la discrimination existe encore, souvent mise de l’avant pour discriminer un autre groupe.

  • Ex. : une personne qui dit qu’elle accepte les communautés LGBTQ+ mais qu’elle ne peut rien faire pour changer l’opinion de groupes (Baby Boomers ou minorités ethniques) peut être accusée d’homonationalisme.

Appropriation culturelle : utilisation, par une culture dominante, d’un élément ayant une signification particulière dans une culture opprimée, et ce, en dénaturant la signification originelle de l’élément culturel.

  • Ex. : une personne caucasienne qui met en scène une pièce de théâtre portant sur l’histoire de personnes racisées ou autochtones sans inclure des personnes de ces groupes dans la conception et la production de cette œuvre peut être accusée d’appropriation culturelle.

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