Laissez les filles être des filles. Non, mieux : laissez les filles être. Tout simplement.
Être ce qu’elles sont, ce qu’elles désirent devenir, physiquement et intérieurement. Voilà bien plus qu’un souhait que je formule, c’est plutôt une prescription pour ma société un peu malade et tordue qui s’acharne sur les jeunes filles avant même qu’elles n’atteignent l’adolescence. Je m’adresse plus particulièrement à ceux et celles qui font la guerre au corps des filles, le diabolisant en voulant le rendre inapproprié et laid alors qu’il ne fait qu’exister dans toute sa naturalité.
Flashback : je suis en quatrième année, j’ai environ 10 ans. C’est le printemps, et un peu comme les fleurs au même moment, je commence à m’épanouir et je me développe rapidement : je ne le sais pas encore, mais j’aurai mes premières règles l’année suivante. L’un des premiers signes de ma transition vers un corps plus mature est l’apparition délicate de ma poitrine. Ce ne sont que des bourgeons, mais on commence à en distinguer la forme dans mes t-shirts colorés. Moi, mes petits seins naissants, ils ne me dérangent pas. Mais peu à peu, des murmures des élèves dans les corridors viennent à mes oreilles, des garçons s’en moquent et même mon enseignante tente de me faire comprendre que ces changements doivent être camouflés. C’est donc avec ma mère que je vais acheter ma première brassière, gênée de mon corps qui change comme il se doit et que je ne contrôle pas. Elle est verte lime avec des pois roses, je la trouve inconfortable et je ne l’aime pas. Toutefois, je me fais rapidement à l’idée que puisque je suis une fille, je n’ai pas le choix, et que d’enfermer mes seins-presque-pas-présents dans une prison de tissus et d’armature en métal est la norme.
J’approche aujourd’hui mes 22 ans dans un corps de femme confiante avec un esprit ouvert et informé. J’ai traversé mon secondaire sans jamais oser porter de vêtements à la limite du code vestimentaire, de peur de me faire réprimander pour avoir porté une camisole lors d’une journée étouffante de juin dans une classe à 30 degrés. J’étais une élève sage à qui on avait bien inculqué qu’elle n’était qu’une source de distraction pour les garçons et même les professeurs si elle dévoilait ne serait-ce qu’un bout de peau bien innocent.
Aujourd’hui, je vois ces histoires de jeunes filles qui utilisent leur voix pour dénoncer les incohérences des codes vestimentaires dans les écoles. On les rend honteuses de ne pas vouloir porter de soutien-gorge. On les fait se sentir coupables de porter des shorts pas si courts, une robe ou une camisole qui montre leurs épaules. Des jeunes filles qui ne veulent qu’être confortables selon la température pour recevoir l’éducation à laquelle elles ont droit, mais dont on leur refuse l’accès sous prétexte de vêtements inadéquats.
Il y a un problème avec le fait que l’apparence des filles devienne la cause supposée du manque d’attention des garçons à l’école. Comme si une clavicule ou un bout de jambe était excitant au point de te faire perdre toute attention dans ton cours de maths. Le message erroné qu’on envoie quand on suspend des filles qui ne répondent pas à ce code, c’est que leur apprentissage est bien moins important et valorisé que celui des garçons. Si on inversait la situation, on ne verrait certainement pas un garçon être renvoyé chez lui ou se faire demander de se changer parce que ses épaules sont visibles et qu’il émoustille les jeunes filles, non? Et puis, je trouve que pour les garçons aussi, c’est assez insultant ce concept sexiste : on insinue qu’ils ne sont pas assez civilisés pour se maîtriser et garder leur focus lorsqu’il y a un peu de cuisses ou d’épaules pas loin!
Je crois sincèrement que si tu en est rendu à sexualiser le corps d’une fille de 14 ans, le problème ce n’est pas elle, c’est toi.
Je tiens aussi à souligner que le problème à mes yeux n’est pas le code vestimentaire en tant que tel, mais la façon dont il est appliqué. Dans plusieurs milieux que ce soit dans les écoles ou au niveau professionnel, il peut y avoir certaines attentes du côté vestimentaire pour la conformité, et c’est correct. Ce qui n’est toutefois pas normal, c’est que les filles soient majoritairement ciblées par un code vestimentaire. Ce qui n’est pas acceptable, c’est la sexualisation du corps qui est faite et le message de la fille-objet qui n’est qu’une distraction.
Ces jeunes filles qui dénoncent ces situations m’inspirent. À leur âge, j’aurais bien aimé avoir le courage de passer un tel message : mes sous-vêtements, qu’ils soient présents ou non, ne te concernent pas. Mes clavicules exposées par temps chaud ne devraient pas être un objet de désir qui font de toi une personne sans le moindre contrôle.
Alors, laissons les filles être des filles. Cessons d’en faire des objets. Arrêtons de vouloir en faire des femmes adultes avant leur temps. Laissons-les être ce qu’elles sont, sans les culpabiliser d’avoir ce corps normal et sain qui n’appartient qu’à elles et pas aux regards des autres.
Source photo de couverture: Unsplash by Marius Ciocirlan