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C’est eux ou c’est nous ?

Source: Pixabay

C’est une question qui se pose régulièrement, dans le milieu de la santé : c’est eux ou c’est nous ? Une question qui, froidement lue, ressemble à un dilemme de film de gangsters. J’imagine le chef d’une bande criminelle la dire à ses soldats pour les motiver à détruire une organisation rivale. Pourtant, c’est un dilemme qui revient au quotidien pour les gestionnaires sur le terrain, mais aussi pour les employés de soutien administratif (comme moi) qui se révèlent être les bras droits des gestionnaires. La plupart du temps. C’est ce que je constate après douze ans de service dans des milieux stratégiques d’un hôpital (urgences, affectation/ressources humaines et admission/gestion des lits).

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Trop souvent, j’ai vécu le dilemme du temps supplémentaire obligatoire. En tant qu’agent administratif responsable de la liste de rappel, j’ai cherché, j’ai trouvé, et souvent j’ai demandé d’obliger quelqu’un à faire des heures supplémentaires. Sans être capable de faire la promesse que je peux le remplacer. C’est déchirant d’en arriver là. C’est un pouvoir qu’il n’est pas plaisant d’avoir. J’avais cependant le devoir de l’utiliser. Pourquoi ? Les raisons sont tellement nombreuses. Mais la motivation qui demeure au cœur de mon raisonnement reste toujours le patient. En fait, il faut comprendre que la loi nous oblige à respecter certains quotas. Ce qui amène du temps supplémentaire obligatoire, mais aussi une spirale infernale. La personne qui reste se déclare malade le lendemain (avec raison) et le cycle recommence. Tout simplement. Donc, on finit par chercher des solutions. Quels stratagèmes on peut prendre pour éviter cela ? On finit inévitablement par se poser la question : c’est eux ou c’est nous ? D’accord, il faut bien souvent avoir « une vocation » pour travailler dans ce milieu. À quel prix ? Au détriment de quoi ?

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Trop souvent, j’ai vu des chirurgies annulées au détriment d’autres chirurgies plus urgentes. Des fois par manque de lits pour hospitaliser ou carrément par manque de personnel. Des raisons tristes, pathétiques et bien réelles. Je vois la gestionnaire des lits, assise devant son ordinateur, regarder le gros casse-tête coloré qu’elle a devant elle. Je bouge qui ? Je place celui-là dans quelle chambre ? Sans compter les patients qui restent à l’urgence parce qu’il manque de télémétries ou de chambres. On se retrouve à jouer avec un casse-tête immense, dont les pièces représentent des vies humaines vulnérables. Des personnes âgées sans milieu de vie adéquat pour leurs besoins. Des gens avec des problèmes de cancers digestifs graves. D’autres qui ont des problèmes vasculaires importants pouvant causer une amputation ou les faire mourir. C’est la course pour opérer des patients, mais également pour en libérer. On prévoit l’imprévisible pour se donner une idée. On retarde des patients qui ont besoin de soins intensifs parce qu’il faut en libérer d’autres pour prendre leurs lits. Il faut le monter rapidement. Évidemment que non. L’entretien ménager n’est pas encore passé pour désinfecter la chambre du patient qui a un pathogène nécessitant une intervention en trois étapes. On en a pour au moins une heure. Je ne parle pas des fois où les infirmières sont débordées, que c’est le changement de quart, que l’assistant infirmier-chef est parti dîner, etc. Toutes les raisons sont plus ou moins valables. Encore une fois, la question se pose : c’est eux ou c’est nous ?

Le système de santé fait souvent les frais de l’actualité pour les bonnes et les mauvaises raisons. Particulièrement depuis le début de la pandémie. Les citoyens et le gouvernement s’intéressent plus à nous depuis le début de la crise sanitaire. Avec raison. Après tout, la santé québécoise engloutit plus de la moitié du budget québécois chaque année. Mais comprenez que ça allait déjà très mal avant. La pandémie ajoute une épine de plus dans un pied qui en compte déjà pas mal. Des vérifications supplémentaires. Des procédures supplémentaires. Des délais excédentaires. Du temps supplémentaire. Alors, lorsque vient le temps de gérer l’ingérable, la même question de base revient toujours : c’est eux ou c’est nous ?

Par Mathieu Belley

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