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Toi que j’ai connu à l’été de nos vies, jamais je n’aurais cru rencontrer l’hiver de la tienne si drastiquement. Quand tu étais petit, tu étais si plein de vie, un véritable cyclone. Comme cousine aînée qui devait te garder, il m’arrivait de te trouver tannant, mais jamais méchamment, tu étais un enfant et j’aimais jouer avec toi, dans le fond. Nos chamaillages étaient plutôt amicaux et enfantins. Nous étions heureux. En fait, c’est ce que je croyais. Toi, tu souffrais déjà.
L’été de nos vies
À cette époque, je ne le réalisais pas encore, mais ta mère était très malade, tu l’as perdue si jeune : ç’a laissé des traces… Ce genre de perte de repères à un moment où nous en avons tant besoin est une écorchure vive, j’imagine bien. J’ai failli perdre la mienne pendant ma vingtaine et j’ai peine à concevoir comment la perte de la tienne, en si bas âge, a dû être une épreuve insurmontable.
Le printemps de ta vie
Puis, tu as grandi. Moi aussi. Nos branches se sont développées, chacun de notre côté.
Je pensais que tu menais une vie, oui, avec des hauts et des bas et quelques fois avec des périodes plus rebelles, comme tous les adolescents et les jeunes adultes de ton âge, mais jamais je n’aurais pu imaginer qu’au fond de toi subsistaient tant d’écorchures dans ton écorce…
Si j’avais su comment tu avais souffert… Si j’avais su comment tu t’étais réfugié dans l’enfer de la drogue pour soulager ce vide, je t’aurais tendu l’oreille, mais tu ne t’ouvrais pas facilement aux autres. Tu refoulais tout le mal en toi et tu ne l’exprimais qu’en explosions de rage, au final, qui ont détruit petit à petit ce que tu idéalisais autour de toi, comme l’amour de ta vie…
Beaucoup de solitude… imposée par la vie
Puis, 2020 est arrivé. Comme pour tous, cette année-là, qui a bouleversé la vie de plusieurs, nous obligeant à nous regarder au plus profond de nous-mêmes, semble avoir été très difficile pour toi, mais je pense que, comme tous les gens ayant déjà beaucoup d’écorchures au cœur, la solitude qu’a amené cette pandémie a fendu ton tronc.
Tu nous avais exprimé cette douleur quand on s’était enfin revu toute la famille, cet été, après un an sans se voir, même à Noël qui était notre rendez-vous annuel… Si quelqu’un m’avait dit que le Noël suivant, on ne pourrait t’inviter à venir fêter avec nous, j’aurais dit qu’il s’agissait d’une mauvaise blague.
…
Tu ne viendras donc pas à notre rencontre Noël prochain? Ce ne sera pas facile de voir ta chaise vide.
Déjà l’hiver de ta vie dans ton cœur?
Tu n’étais même pas encore à son automne !
Tu nous avais révélé que nous, ta famille, étions ce que tu avais de plus cher. Je croyais que nous étions tes racines et que tu ne voudrais pas nous quitter, toi, qui avais les mots comme moi pour remplir le vide de ton cœur, mais il faut croire que ces racines n’ont pas suffi à te retenir; que ces mots t’ont plutôt permis de t’envoler autre part…
Je le répète, mais pourquoi, pourquoi es-tu parti si vite alors que tu nous retrouvais à peine? Tu avais mal à ce point? Au point de penser que ta présence nous nuisait? Mon cœur ne peut saisir ton choix.
J’aurais aimé apprendre à te connaître avant cette heure fatidique
J’aurais mieux aimé te connaître. Pouvoir échanger avec toi à propos de nos arts, de nos cœurs sensibles que je commençais à peine à retrouver après un an d’éloignement. J’avais l’impression de rencontrer un nouvel homme, un homme sensible, loin du jeune bum que je connaissais… mal.
Tes amis te décrivaient comme un jeune homme qui avait l’humanité tatouée sur le cœur, qui voulait aider son prochain, car tu étais très sensible à la douleur de tous ceux qui t’entouraient. Tu voulais sentir le monde heureux autour de toi alors que toi-même tu avais du mal à monter la pente.
Tu te sentais parfois seul, dans ce cycle de la vie qui va trop vite, où on ne prend pas assez le temps de s’arrêter pour se dire les vraies choses, pour être authentique avec nous-mêmes et les autres, mais tant de gens m’ont témoigné comment ta vision va manquer aux couleurs du monde. Ils auraient tant aimé pouvoir te le partager de ton vivant.
Comprendre l’incompréhensible
Ma raison peut affirmer comprendre. Le temps passe vite, trop vite, on ne se dit pas assez souvent qu’on s’aime et, déjà même aujourd’hui, quand j’écris ces mots, ça fait une semaine que la famille et moi nous t’avons rendu hommage, et on dirait que nos train-train quotidiens ont envie de redémarrer, mais n’est-ce pas ce que tu voudrais? Qu’on vive pour nos projets comme tu aurais voulu vivre les tiens, avec passion?
Message d’espoir
J’espère au moins que tu pourras revoir ta mère, que tu veilleras sur nous de là-haut et que les graines que tu as laissées ici germeront en ta mémoire afin de devenir les fruits que la famille et moi pourrons cueillir en ton nom.
Et après?
En espérant que les branches qui s’orientent du mieux qu’elles le peuvent dans leur vie et les bourgeons qui éclosent dans la famille, virevoltant au gré du vent et des saisons de la vie, sauront se confier avant que leur tronc ne s’effondre. Veille sur eux. Veille sur nous.
Pour ma part…
Quand je raclerai les feuilles qui ont fini par tomber pour revenir plus fortes au printemps prochain et que je sentirai un coup de vent de la force d’un cyclone les soulever, je saurai que tu ne veux pas que j’abandonne mes projets. Tu seras là. Je ne perdrai plus de vue le cœur battant de passion qui fait vibrer ma sève, je te le promets.
Révisé par Gabrielle Gardner