« Les relations de couple hétérosexuelles sont vraiment violentes. En plus, la grande majorité sont des relations basées sur la religion. Il est peut-être temps d’avoir une conversation sur leur interdiction et abolition. »
Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des Femmes du Québec, n’a pas mis de gants blancs pour dénoncer sur Twitter la culture de la violence qui pèse sur la vie des femmes grâce à ce cher patriarcat. Rapidement, un second tweet suit.
« J’ai votre attention? Les féminicides [sont] un enjeu à prendre au sérieux. Ce n’est pas un « drame familial ». Les « bons gars » tuent aussi. La déshumanisation des femmes autochtones et des femmes dans l’industrie du sexe tue. Les femmes au Leclerc [l’établissement de détention] sont traitées de façon inhumaine. »
Que penser de ces tweets et de cette militante?
Certes, la méthode choisie pour lutter contre la culture de la violence conjugale peut être controversée. Alors que plusieurs sont choquées par les propos de Gabrielle et que celle-ci admet même publiquement avoir été maladroite, mes lectures en histoire féministe québécoise me portent à croire que les actions-chocs sont parmi celles qui transforment notre société.
Il suffit de penser aux membres du Front de Libération des Femmes du Québec (FLF) qui ont manifesté en pleine audience de la Cour en criant « La justice c’est d’la marde! » et « On nous viole encore! » pour que les femmes aient le droit d’être jurées pour constater que les actions-chocs, malgré ou peut-être parce qu’elles sont choquantes, amènent des changements radicaux.
Les actions-chocs créent une rupture claire entre un idéal et une réalité. Parfois, une action qu’on n’oserait pas poser soi-même met tout de même en lumière un idéal qu’on convoite et une réalité qu’on veut voir changer. Est-ce que tous les changements sociaux requièrent des actions-chocs? Bien sûr que non. Mais parfois, c’est cette tactique qui fonctionne et rappelons-nous que rares sont les actions-chocs féministes qui ont nui davantage aux personnes au pouvoir que le patriarcat aux personnes opprimées. L’allusion de Gabrielle à l’abolition de l’hétérosexualité est-elle si dommageable alors que des thérapies de conversion homophobes existent encore au Québec et que des féminicides sont encore commis par des conjoints violents ou des clients de travailleuses du sexe?
Et parlons de cette mention des relations hétérosexuelles violentes. Ça peut certainement choquer quand on n’entend pas souvent parler de violence conjugale (VC).
Ce que j’explique depuis que j’ai travaillé en VC, c’est que la société patriarcale a divers mécanismes pour assurer l’oppression des femmes et des personnes non binaires et que, comme la culture du viol, la culture de la VC en fait partie. Cette culture omniprésente et sournoise normalise des comportements violents comme les moqueries, la jalousie, la manipulation, le contrôle, les insultes, etc. dans les relations amoureuses. Puisque le patriarcat est une structure où les hommes dominent globalement les femmes et les personnes non binaires, ces comportements violents s’illustrent de façon différenciée selon le genre, les hommes étant plus souvent les auteurs et les femmes, les cibles. L’inverse est possible et les hommes victimes vivent un stigma social qu’il faut adresser, pas besoin de se rendre au meurtre pour agir.
Le lien avec les relations hétérosexuelles, c’est que la violence s’inscrit dans une dynamique systémique, un cadre bien rodé qui est suggéré par les contes pour enfants, les comédies romantiques et les films d’action où le héros sauve la demoiselle en détresse. Ce cadre n’est pas inhérent à toutes les relations hétérosexuelles, mais peu de gens s’en sortent sans y mettre énormément d’efforts et d’énergie, même en étant queer.
Parce que même dans les couples homosexuels, on nous demande qui fait le gars et la fille. Parce que l’on est socialisé.es différemment depuis le ventre de notre mère. Parce que c’est plus facile de suivre le cadre que de déconstruire cette partie de nous qui s’y sent confortable pour créer une relation réellement à notre image. Parce que ça fait peur, mettre de côté ses référents pour explorer l’inconnu.
Est-ce que toutes les relations hétérosexuelles sont violentes? Qui suis-je pour me prononcer? Mais une chose est sûre, la culture hétérosexiste, l’hétéronormativité et le sexisme systémique sont des ingrédients qui font mousser la violence conjugale et qui, lorsqu’ils sont cuisinés judicieusement, peuvent mener au meurtre de femmes.
Alors l’accent devrait-il être mis sur une action militante ou devrait-on plutôt concentrer notre énergie pour lutter contre la violence conjugale? Je vous invite à vous abonner aux pages Facebook de la maison d’hébergement en violence conjugale et du Centre des femmes de votre région et, si votre portefeuille le permet, de donner à l’un de ces organismes plutôt que de déverser votre fiel sur une simple messagère.
L’ennemi, ce n’est pas Gabrielle, c’est le patriarcat.
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