Les dernières teintes de bleu dans le ciel laissent naître une lune qui diffusera sa douce blancheur dans la nuit glaciale. Le givre escalade mes fenêtres. Le vent du nord tente de fissurer mon refuge. Près de la croisée, j’entends son léger mugissement.
J’ai creusé un nid dans ma chaise berçante, elle qui est disparue sous une montagne de couvertures aux duvets caressants. La chaleur du thé monte en volutes. Elle achève la nargue que j’offre à l’hiver. J’ouvre mon livre. Délicieux son des pages qui se froissent sous mes doigts. Au-dessus de moi, une bienveillante lumière ambrée règne sur ma petite cérémonie de lecture. Le calme s’immisce au plus profond de ma chair. La béatitude rétrécit l’espace. Il n’y a plus que les quelques centimètres qui me séparent des mots envoûtants.
Ils m’avalent, m’aspirent et m’ouvrent sur l’univers infini qu’eux seuls peuvent ériger. Les minutes s’enfilent secrètement, à mon insu, au rythme des pages qui se tournent. Le sommeil gagne par intermittences mes yeux. Je ne résiste jamais. Ma rêverie à demi lucide prend le relais de ma lecture. Les mots se transfigurent en images et viennent bercer mon assoupissement.
Mon vieux chat cotonneux interrompt de ses pas furtifs ma légère sieste. Il saute gracieusement sur mes genoux, me regarde, supplie pour des caresses et étudie minutieusement avec ses pattes l’endroit où il allongera son léger corps duveteux. La lecture reprend. Dehors, l’obscurité a fait éclore le ciel d’un millier de fleurs scintillantes. Le thé a tiédi, mais sa saveur me rappelle le brasier qu’il soulève, de coutume, dans ma gorge. Les mots se tissent les uns aux autres dans une perpétuelle surprise. La littérature, ce sanctuaire de ma solitude, c’est mon véritable havre contre les affres de l’hivernale froidure.
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Lecture estivale
L’astre du jour perce mes rideaux et vient chatoyer mes paupières qui cèdent et s’ouvrent. Mes muscles inertes et mon être sans volonté s’agrippent au lit. Je maudis le jour de briser l’étreinte thérapeutique du sommeil. Je me retourne pour fuir les rayons agressants et aperçois mon bouquin de la veille gisant sur ma table de nuit. Humm! J’enfile une robe de chambre, traverse le corridor et ouvre la porte du patio.
Le feu du soleil a bien entamé son combat contre les zones ombrées du monde. Je retrouve le signet caché entre les pages, le délivre de son emprisonnement et entame immédiatement la lecture. Au bout d’une demi-heure, je m’aperçois enfin de mon sacrilège ; j’ai omis la caféine. Le tir corrigé, je me relance à l’attaque du texte. Ce dernier est lent, suave, attentif aux détails et il éveille mes sens. Je lève les yeux, ouvre mon ouïe au monde, concentre mon attention sur les pores de ma peau, ces précieux entremetteurs entre moi et l’univers.
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Le vent fait frémir les grands arbres de la rue et poursuit sa route sur mes mollets et mon cou découverts. Je frissonne légèrement. Je capte enfin le piaillement des oiseaux enfouis dans le dédale des feuilles. Leurs petits cris se répondent et forment une mélodieuse chaîne sonore, passant d’un arbre à l’autre. La vie se savoure à petites gorgées de matinées oisives.
Ainsi, j’alterne entre les pages et l’horizon, laissant le soleil s’approcher de son zénith. À mesure que je réduis l’épaisseur de mon livre, je prends conscience de la contiguïté de la littérature et de la vie. La première éclaire la seconde de ses feux d’intelligence, l’ouvre jusque dans son imperceptibilité, lui rend sa richesse originelle.
La voisine d’en face sort avec son chien ; je quitte de facto mon livre. Elle entame sa marche. Le vent s’empare de sa fine chevelure rousse dans laquelle je laisse traîner mes regards rêveurs. J’admire sa démarche et le balancement de ses épaules graciles et fragiles. Elle se sait observer, ne s’en formalise pas, puis feint finalement de m’apercevoir, m’honorant d’un sourire naïf.
Où en étais-je ? Ah oui!
« Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances, qu’on allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile.
Le matin, en rentrant du parc, quand tout le monde était parti faire une promenade, je me glissais dans la salle à manger, où, … »– Marcel Proust
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Par David Morissette Beaulieu
Marie-Ève Joseph
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