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On s’aimait bien

Ce n’est pas toi, c’est pas nous non plus. En fait, c’est le moi qui s’agite par en-dedans. J’ai le moi qui court dans tous les sens, qui s’étourdit à coup de grands projets pis de p’tites dérives. Tu sais, quand on s’est rencontrés toi pis moi, je n’étais encore qu’une petite fille. J’arrivais de mon p’tit village avec le plus gros des casse-têtes, celui d’essayer de comprendre comment me rendre au centre-ville en prenant la 8 ou bien la 14. Je traînais mon bagage de blonde à mi-temps : une semaine avec toi, pis la fin de semaine dans les bras d’un autre. Tranquillement, l’autre s’est lassé de ma p’tite vie d’étudiante à temps partiel de nuit pour payer mon gaz entre mes deux amants. Faut croire que ce n’était pas assez. En tout cas, pas assez pour m’empêcher de m’en aller. Peu à peu, tu m’as fait ma place sur la Léonard, la rue juste en face du Provigo pis du Uniprix, toujours la dernière déneigée en hiver et cumulant les sillons de carte routière sur son pavé l’été. J’avais de grands murs blancs pour laisser peindre mon esprit et un vieux plancher de tapisserie pour structurer mes idées, et j’étais là à réfléchir à combien de graines de toast on peut sacrer dessus sans que ne personne s’en rende compte, ou alors à penser à l’empreinte écologique des sacs plastiques… Même combat.

Sois pas triste. Tu m’as tellement appris pendant ces quatre années. À cause de toi, je suis passée maître de l’équilibre dans un bus en marche. Faut dire que tes innombrables changements d’humeur m’ont aidée à gravir les niveaux assez vite. Mes années avec toi m’auront permis de renouer avec l’artiste passionnée que j’étais avant de vieillir. Les murales tapissant ton décor racontent le passé et le présent avec toi. Celles-ci se mêlent aux graffitis des artistes de rue en soif d’expression. Grâce à toi, j’ai vécu la colocation. Une aventure qui débute chaque matin quand on se croise dans la cuisine avec un toast pis un café et qui finit avec des soirées de famille à manger du popcorn devant Tout le monde en parle. Tout le monde en parle, même nous, dans notre 6 ½ entre nos planchers pis nos armoires défraîchis. Tu m’as appris que l’amour, c’était plus qu’une relation entre deux corps. Que l’amour, je le voyais chaque matin sur les grands murs blancs de ma chambre et dans les yeux ensommeillés de ma coloc. L’amour, je le croisais dans le vent qui me poussait sur le trajet du quotidien et même dans les ronronnements de ma créature de quartier qui finissait toujours par revenir se frôler à ma porte.

Oui, Sherbrooke. Tu m’en as donné de l’amour. Moi, pas assez. Même un peu trop tard. Tu le sais, j’te l’ai dit que j’allais revenir. Le Sherbylove dans le cœur, j’te quitte pour un autre. Prends ça comme des vacances. Transportée par cette crise existentielle, j’ai décidé de me faire muter à Montréal comme tant de jeunes adultes avant moi. Non, je ne peux pas te promettre que j’ai fait le bon choix. Je ne peux même pas t’assurer qu’on va s’aimer, elle et moi.

Ce qui m’attire chez elle plus que chez nous? Je ne sais pas. Je crois que ça se résume à un seul mot : changement. Changement d’air, changement de décor. Bref, la nouveauté, tu le sais comme moi, ça peut être bien aguichant.

Tu sais Sherbrooke, t’as rallumé de quoi qui s’était éteint ces dernières années. Une passion que j’avais, à coups de stabilité et de routine, barricadée dans le fond d’une boîte. Donc, tranquillement, tu m’as forcée à défaire mes cartons, à faire de toi ma maison. Tranquillement, j’ai étendu mes projets sur les grands murs blancs de ma chambre. Je les ai regardés se développer à la lueur de la p’tite flamme que t’avais rallumée. J’ai laissé mon cœur se réconforter avec un chocolat chaud au Café Blabla, ma tête s’étourdir avec une Ingénieuse au Siboire du Dépôt, mon ventre se torde de rire au Boquébière, ma voix se casser après des soirées de karaoké au Magog, mes yeux s’émerveiller des œuvres exposées à l’Irisium et mon nez se délecter des effluves du Marché de la Gare. Avec tous mes sens, j’ai marché tes rues à la recherche de nouveaux visages, de nouvelles teintes et de nouvelles vies. D’un nouveau sens à donner à mon existence. De peur que la routine ne l’emporte, j’ai décidé de mettre le cap vers d’autres bras.

Quand je déposerai mes valises devant chez elle, je tâcherai d’apporter un peu de toi avec moi. Je ne lui dirai pas. Je choisirai un petit appartement avec des murs blancs et des plantes vertes ; ça me rappellera mes années avec toi. Je dresserai l’itinéraire de mon aventure d’un an avec elle, prévoyant le retour vers chez toi en mai prochain. Comme je l’ai fait avec toi, je découvrirai ses reliefs, les courbes de ses montagnes et l’eau de son fleuve. Je remonterai la Sainte-Catherine à la recherche d’un petit café pour écrire mes états d’âme. Je me rendrai à sa croix pour relater son histoire du haut du Mont-Royal, comme avec la tienne sur le Mont Bellevue. Son marché Jean-Talon remplacera ton Marché de la Gare les samedis. La poutine de la Banquise fera compétition à celle du Snack les soirs où j’aurai trop bu. Lorsque je me sentirai nostalgique, je retrouverai ta douceur dans une Ingénieuse au Siboire du Boulevard Saint-Laurent. Il y a un peu de nous sur cette petite île. La métropole québécoise en aura assez pour m’étourdir avec sa diversité, ses couleurs, ses artistes de rue, sa petite misère et ses édifices prospères. Chaque matin, je prendrai le métro avec ses centaines de gens pressés d’aller travailler pour ensuite aller se recoucher. Je m’amuserai à lire leur visage, à leur inventer une vie pendant que je m’applique à écrire la mienne.

Sherbrooke, je pars en quête d’une nouvelle histoire à me raconter. Une histoire que je pourrai raconter à mes enfants. Celle de leur mère, petite fille de campagne, qui quitte ses vieilles bottines pour la grande ville. Un petit bout de femme, le cœur un peu lourd de t’avoir quittée pour une nouvelle existence, mais les pas légers devant ces pages qui ne demandent qu’à être coloriés à trait d’expériences. Dans ma tête, y’a Robert Charlebois et Ariane Moffatt qui chantonnent leur retour vers Montréal, y’a aussi Ian Kelly qui le supplie de ne pas l’oublier alors qu’il la quitte. Moi, j’arrive avec la naïveté d’une enfant, prête à m’imprégner du mariage de cultures de mon nouvel amant. Avec la solitude devant cette masse de gens, je me lancerai vers l’inconnu. Tranquillement, j’y trouverai mes repères et la satisfaction du confort d’un quotidien. Le bruit de la grande ville deviendra la trame de sonore de mon existence. Peut-être que je réussirai à t’oublier et à m’installer dans ce nouveau chez-moi.

Tu sais Sherbrooke, quand le temps sera lourd, que je m’ennuierai de tes grandes murales, de mes colocs et de mon plancher délabré, que je me demanderai pourquoi j’ai décidé de te quitter, alors qu’on s’aimait bien, j’aurai toujours la ligne orange pour me déposer jusqu’à tes pieds, entre Berri-UQAM et Mont-Royal.

Crédit photos : Laurie Marquis

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