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Réalité et fiction chez Tangente

Réalité et fiction est sans doute le programme le plus curieux qu’il m’ait été donné de voir chez Tangente jusqu’à présent. Sans doute moins accessible aux profanes de la danse contemporaine, il a su me sortir de ma zone de confort et me surprendre par sa profondeur conceptuelle.

La première pièce, Ghostbox, des chorégraphes et interprètes Camille Lacelle-Wilsey et Eryn Tempest, nous entraîne dans une rencontre surréaliste au sein d’une petite salle intime. Inspiré par la chambre noire, l’univers scénique est d’abord enveloppé d’une lumière rouge avant de s’assombrir pour que le sol puisse se transformer en pellicule où défilent des images en noir et blanc. Rappelant le cinéma et la photographie, cette danse est une expérience immersive où la tension augmente au rythme de la musique et où l’angoisse est palpable. Les mouvements vifs et saccadés envahissent le corps des danseuses qui, le regard vide, semblent tout droit sorties d’un film de Stanley Kubrick. Interférences, apparitions et disparitions, distorsions du corps et gestes obsessifs empreints de nervosité ont réussi à me donner froid dans le dos. Ghostbox est une pièce sombre et mystérieuse à l’esthétique très cinématographique.

La deuxième pièce, Revolutions, de la chorégraphe et interprète Hanna Sybille Müller, brise la dichotomie artiste/spectateur dans une performance qui se veut interactive. Le public, assis en cercle, est invité à participer par le mouvement dans l’espace, l’écoute active et le regard soutenu de l’artiste qu’il croise à de multiples reprises. Tout en initiant de doux mouvements circulaires, elle parle du concept de « révolution » en citant un politicologue, un mathématicien, un révolutionnaire et un religieux dont les propos sont documentés dans le petit carnet qui se trouvait sur notre chaise. Plus elle amplifie ses mouvements, plus ils augmentent en rapidité et en intensité, le tout dans un contrôle absolu où chaque geste est savamment calculé. Ce solo se transforme rapidement en duo, où les deux danseuses se déplacent dans l’espace en sens contraire tout en pivotant sur elles-mêmes avant de littéralement rouler sur le sol dans une giration hypnotisante.

Tout en gardant le focus du spectateur sur les cercles qu’elles personnifient, elles nous font réfléchir sur les notions de cycles, de répétition, d’individualisme et d’écologie. Révolutions sociales et révolutions politiques devront prendre compte du problème environnemental. Pourrons-nous de notre vivant être témoins de ces révolutions nécessaires? Sera-t-il trop tard? Dans cette performance, la forme ne sert qu’à illustrer le propos et pousse à réfléchir sur l’individualité et la soumission à l’ordre établi dans la société actuelle alors que le temps continue de défiler sur l’horloge.

En quittant la salle, une phrase teintée d’humour mais portant à réflexion me reste à l’esprit : « Avec le yoga, on se soigne, mais on ne se révolte plus. »

Crédit photo : Samuel Trudelle

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